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Angleterre - Preuve est faite, les Vikings voyageaient avec leurs animaux domestiques au IXème siècle

Grâce au matériel mis au jour dans le cimetière de Barrow, à Heath Wood, les archéologues sont parvenus à établir la première preuve scientifique que les Vikings ont traversé la mer du Nord avec des chevaux, des chiens et d'autres animaux domestiques, dès le IXème siècle de notre ère. 

Une équipe de chercheurs de l'Université de Durham et de la Vrije Universiteit à Bruxelles ont analysé des ossements humains, mais aussi ceux d'animaux domestiques, découverts dans le seul cimetière viking de tombes à crémation connu du Royaume-Uni, à Heath Wood, dans le Derbyshire. Ce dernier date de la fin du IXème siècle, raison pour laquelle, entres autres, il est volontiers associé au fameux camp de la Grande Armée viking établi durant l'hiver 873-874 à proximité du village de Repton.

Les résultats de l'étude ont été publiés le 1er Février 2023, dans la revue PLOS ONE.

 

"À Heath Wood, les gens ont ratissé les restes du bûcher, retirant des fragments d'os et mélangeant ce qui restait", a déclaré l'auteur principal de l'étude, Tessi Löffelmann, doctorante en Archéologie à l'Université de Durham au Royaume-Uni. "Je trouve cela intrigant parce que cela signifie qu'il n'y avait plus de séparation claire entre les animaux et les humains - tout est devenu en quelque sorte une partie de la même chose, quelque chose de nouveau."

 

59 tertres funéraires

Angleterre - Le tumulus 50 en cours de fouille à Heath Wood - Photo: Julian Richards / Université de YorkSelon la Chronique anglo-saxonne, un ensemble de documents historiques écrits en vieil anglais sur plusieurs siècles, la Grande Armée viking a envahi la côte sud-est de l'Angleterre en 865 et s'est dirigée vers l'intérieur des terres. En 873, toujours selon la Chronique, l'armée atteignit le village de Repton, à quelques kilomètres seulement du cimetière maintenant appelé Heath Wood.

Lorsque les archéologues ont investigué le site funéraire dans les années 1940 et 1950, ils ont répertorié 59 tumuli distincts et en ont fouillé 20. Certains d'entre eux contenaient  des objets funéraires d'origine scandinave - parmi lesquels des fragments d'épées, de boucliers et des accessoires vestimentaires - ainsi qu'une quantité limitée d'ossements.

"Les fouilles ont révélé que les tumulus se répartissaient en deux ou trois catégories; tandis que certains comprennent des couches de matériaux brûlés, notamment de la terre, du charbon de bois et des os indiquant des bûchers in situ, d'autres étaient apparemment vides ou ne comprenaient qu'une petite quantité d'os calcinés", rapportent les chercheurs.

La plus grande partie du matériel osseux exploité pour les analyses provient du tumulus 50, où a également été mis au jour une poignée d'épée, des objets en argent et en fer et un fragment de bouclier. Mêlés aux restes d'un adulte et d'une personne plus jeune, des os de cheval, de chien et de ce qui était probablement un cochon ont pu être identifiés. Les restes d'un adulte issu d'un autre tertre funéraire ont également été investigués.

Bien que l'analyse chimique d'ossements calcinés soit une technique relativement nouvelle, le matériel archéologique de Heath Wood a produit un ensemble de résultats intéressants.

 

Une preuve scientifique unique

Le strontium est naturellement présent dans l'environnement dans les roches, le sol et l'eau avant de pénétrer dans les plantes. Lorsque les humains et les animaux mangent ces plantes, le strontium remplace le calcium dans leurs os et leurs dents. Comme les ratios de strontium varient dans différentes parties du monde, l'empreinte géographique de l'élément trouvé dans les restes humains ou d'animaux peut aider à déterminer d'où ils viennent ou se sont installés.

Les ratios de strontium chez l'un des adultes et l'enfant ont indiqué qu'ils pourraient être originaires de la région autour du site de crémation de Heath Wood, du sud ou de l'est de l'Angleterre, ou bien d'Europe, y compris du Danemark et du sud-ouest de la Suède qui se trouvaient en dehors de la région du bouclier baltique.

Mais il en est allé différemment consernant les os de l'adulte et des trois animaux de la tombe 50. "En lien avec le contexte archéologique, les rapports isotopiques du strontium indiquent que ces individus sont très probablement originaires de la région du bouclier baltique et qu'ils sont morts peu de temps après leur arrivée en Grande-Bretagne", écrivent les chercheurs dans leur étude. 

Leur zone géologique d'origine correspond à peu près, de nos jours, à la Norvège et à une partie de la Suède. "Ces résultats fournissent la première et unique preuve de la migration à la fin du IXème siècle de personnes et de leurs animaux à travers la mer du Nord, de la Scandinavie au cœur de l'Angleterre", affirment les auteurs.

 

200 plus tôt que la cavalerie normande

L'équipe de recherche comprenait également des archéologues de l'Université de York, au Royaume-Uni. 

L'un d'entre eux, le professeur Julian Richards, a codirigé les fouilles du cimetière Heath Wood Viking entre 1998 et 2000. "La Tapisserie de Bayeux représente la cavalerie normande débarquant des chevaux de leur flotte avant la bataille d'Hastings, mais c'est la première démonstration scientifique que des guerriers vikings transportaient des chevaux en Angleterre deux cents ans plus tôt", confirme-t-il.

À l'instar des migrants de l'actuelle Norvège qui se sont installés en Islande à partir des années 870 en emmenant leur bétail avec eux, il est probable d'après les chercheurs, que les grandes flottes qui ont débarqué en Angleterre à la même période comprenaient des navires de charge de type knarr - le franc-bord trop bas des langskips les rendant impropre au transport en pleine mer de chevaux ou de bétail. 

Les Vikings ne se contentaient donc pas de voler des animaux à leur arrivée en Angleterre, comme le décrivent les récits de l'époque, ils en ramenaient de Scandinavie. "Compte tenu de cela, il est moins surprenant qu'un chef viking apporte également son précieux chien de chasse, un autre symbole de statut-clé.

 

Du rôle des animaux

Si le cheval et le chien ont été emmenés en Grande-Bretagne, il se peut néanmoins que le fragment d'os de cochon soit une pièce d'un jeu ou une amulette apportée de Scandinavie, plutôt qu'un cochon vivant.

Quoi qu'il en soit, la présence de ces trois espèces différentes incinérées avec le défunt suggère que l'individu était quelqu'un d'important - au point que les animaux qui avaient voyagé aussi loin avec lui soient sacrifiés lors de son décès. Mais il est plus difficile de déterminer pourquoi ce sont ces espèces en particulier qui ont été sélectionnées.

Tessi Löffelmann n'est pas certaine qu'il y ait eu une raison fonctionnelle (nourriture, transport, chasse...) à ce choix. "Je pense que le cheval et le chien ont probablement été des compagnons mais je suis moins sûre du reste des animaux", a-t-elle indiqué tout en précisant que l'identification des ossements d'animaux dans les tombes à crémation peut être difficile et qu'il peut donc y en avoir eu davantage.

Les animaux étaient intimement liés à la mythologie nordique de l'époque, où même les dieux pouvaient se transformer en bête, rappelle la doctorante. "Au IXème siècle, la Scandinavie n'était pas encore chrétienne, et il y avait une forte tradition orale - ce n'est que quelques siècles plus tard que ces histoires ont été écrites, mais elles nous révèlent que les animaux avaient un rôle important à jouer dans la société".

 

Après le passage de la Grande Armée

Cat Jarman n'a pas pris part à cette étude mais elle est l'archéologue qui a dirigé les fouilles du camp de Repton.

À ses yeux, Heath Wood est un site extrêmement important de l'Âge Viking en Angleterre. "L'utilisation de l'analyse des isotopes du strontium sur les restes crématisés est très intéressante, et la possibilité que des chevaux et des chiens aient également été déplacés sur de grandes distances - y compris à l'étranger - correspond bien à ce que nous savons d'autres parties du monde viking", a -t-elle spécifié.

Elle n'est cependant pas convaincu que les sépultures de Heath Wood soient celles de membres de la Grande Armée Viking. Des fouilles archéologiques menées non loin de là montrent que la région a été colonisée par un groupe scandinave à partir de la fin du IXème siècle.

Qui plus est, des vestiges à Heath Wood ont été datés du Xème siècle par le radiocarbone, soit bien plus tard que les raids de la Grande Armée. "Ce contexte ne fait que rendre les résultats de l'étude plus passionnants encore", d'après l'archéologue, "car il suggère une migration en cours bien au-delà des mouvements historiquement sourcés de la Grande Armée."

 

Un spectacle visible à des kilomètres à la ronde

À cette époque où l'Angleterre était déjà convertie au christianisme, la plupart des gens s'étaient depuis longtemps tournés vers l'inhumation de leurs défunts. Il est donc presque certain que les crémations vikings à Heath Wood ont constitué un spectacle à part, en lien avec les rituels scandinaves.

Une crémation de cette taille a sans doute nécessité une énorme quantité d'énergie, surtout avec des animaux à brûler en plus des humains. 

"Ce devait être un très grand bûcher à ciel ouvert qu'il fallait surveiller pendant des heures et des heuresJ'imagine que l'ensemble de cet événement a dû durer jusque tard dans la nuit, et la lumière dégagée devait probablement se voir depuis Repton [à 5 kilomètres de là]", conclut Tessi Löffelmann.

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