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Danemark - Du cuivre dans les cuisines de l'Âge Viking

Terre cuite, bois, métaux, l'homme a façonné divers matériaux pour fabriquer des ustensiles tout au long de son Histoire. Une nouvelle recherche met à présent en lumière l'utilisation du cuivre dans les cuisines de l'Âge Viking et du Moyen Âge.

À première vue, personne ne s'attend à ce que des ossements datant de plusieurs centaines d'années à un plus d'un millénaire, soient en mesure de révéler la nature des ustensiles de cuisine de leur époque. C'est sans compter sur le professeur Kaare Lund Rasmussen, chimiste à l'Université du sud du Danemark (SDU), et son intérêt pour l'archéométrie [analyses physico-chimiques d'objets et de matériaux d'intérêt archéologique et historique].

L'étude, publiée le 21 février 2020 dans le journal scientifique Heritage Science, a été menée en collaboration avec ses collègues du département de Médecine légale et du département de Physique, Chimie et Pharmacie, l'Université d'État de Pennsylvanie, le Sydvestjyske Museer à Ribe et le Musée de Horsens. Le travail a été réalisé avec le soutien de la fondation Velux et du Fonds pour la Recherche indépendante du Danemark.

 

553 squelettes examinés

"Pour la première fois, nous avons réussi à retracer l'utilisation d'ustensiles de cuisine en cuivre grâce aux os. Il ne s'agit pas de cas isolés, mais de nombreux squelettes sur plusieurs années, et ainsi nous avons pu identifier les tendances historiques à utiliser du cuivre dans les foyers", a expliqué Kaare Lund Rasmussen.

L'équipe de recherche a analysé les os de 553 squelettes âgés de 1200 à 200 ans. Ils proviennent tous de 9 cimetières, aujourd'hui abandonnés, du Jutland, du Danemark et du nord de l'Allemagne, tantôt dans un contexte urbain comme celui de Ribe et d'Haderslev, tantôt rural avec de petites communautés telles que Tirup et Nybol. 

Ces squelettes de l'Âge Viking et du Moyen Âge sont aujourd'hui conservés pour une part au château de Gottorf, à Schleswig en Allemagne, et d'autre part à l'Université du sud du Danemark qui en compte à elle-seule plus de 15 000 dans son entrepôt. 

Le cuivre, oligo-élément essentiel, est depuis longtemps considéré comme ayant des effets importants, bien que partiellement compris encore, sur la santé humaine, précisent les chercheurs. Le cuivre est impliqué dans plusieurs processus métaboliques, dont le fonctionnement du système immunitaire et il peut être tracé dans les os. Ses concentrations dans le corps varient généralement selon l'âge, le sexe, la région géographique et l'état de santé.

 

Des ossements aux cuisines

Danemark - Reconstitution d'une cuisine de l'Âge Viking à Ribe - Photo: Colin Seymour / Ribe VikingeCenterLes besoins en cuivre d'un être humain sont généralement satisfaits par les aliments qu'il mange et la plupart des personnes n'y pensent probablement jamais. Mais il en va différemment au cours de l'Âge Viking et du Moyen Âge, comme l'ont révélé les analyses: les squelettes présentent d'importantes concentrations de cet élément chimique.

En plus de ce qui est naturellement présent dans les aliments, les chercheurs pensent donc que le cuivre a dû être ingéré à la suite du stockage ou de la cuisson de liquides et d'aliments dans des récipients faits de ce matériau comme de ses alliages. Ils indiquent deux manières dont le cuivre a pu passer des ustensiles de cuisine à l'ingestion pour se retrouver finalement dans les os des squelettes. 

L'une est mécanique, ce qui peut se produire lorsqu'un objet abrasif ou tranchant, tel qu'une lame de couteau, vient gratter l'intérieur d'un récipient et détacher ainsi de minuscules particules qui viennent se mélanger aux aliments. L'autre est physico-chimique et consiste en une dissolution du cuivre, lorsque des aliments acides sont cuits ou stockés dans ce même type de récipients métalliques. 

L'examen des os seuls ne permet pas de distinguer les deux sources possibles d'exposition au cuivre -  l'alimentation ou les ustensiles-  mais d'aussi fortes concentrations de cet oligo-élément attestent de l'usage d'objets métalliques et donnent des indications sur leur répartition géographique. "Les os nous montrent que les gens ont consommé de minuscules particules de cuivre chaque jour tout au long de leur vie. Nous pouvons également voir que des villes entières sont concernées par cela depuis des centaines d'années", a précisé Rasmussen.

 

Des différences entre milieu urbain et rural

L'étude met en évidence que le cuivre et ses alliages était abondamment utilisé dans les cuisines des villes de Ribe, Horsens, Haderslev et Schleswig. Apparemment, l'apport en cuivre n'a jamais dépassé la dose à laquelle il aurait pu devenir toxique, mais les chercheurs ne peuvent l'affirmer avec certitude.

Ce dont ils sont sûrs, toutefois, c'est que certaines personnes n'ont jamais ingéré suffisamment de cuivre pour qu'il soit traçable dans leurs os, ce qui signifie qu'ils consommaient des aliments cuisinés et stockés dans des récipients faits en d'autres matériaux. Ceux-là vivaient à la campagne, comme le démontrent les analyses effectuées sur des ossements provenant des petits villages de Tirup et Nybol.

De tels résultats posent question, car ils entrent en contradiction avec les récits historiques et bien plus tard, les photos d'ustensiles en cuivre exposés fièrement dans les habitations à la campagne. "Un récipient en cuivre dans une cuisine à la campagne était peut-être si inhabituel que le propriétaire en aurait parlé à tout le monde et que cela aurait même pu être consigné. Cependant, de telles sources ne devraient pas conduire à la conclusion que les ustensiles en cuivre étaient couramment utilisés à la campagne", a réfuté Rasmussen pour qui "les analyses montrent le contraire".

 

1000 ans d'ingestion constante de cuivre

Dans une moindre mesure, les chercheurs estiment que les différences d'exposition pourraient être dues aux bijoux, aux pièces de monnaie ou à la proximité des ateliers de cuivre, en sus des ustensiles de cuisine. Mais selon eux, ces différences ne se limitaient pas à un contraste entre les milieux rural et urbain. L'exposition au cuivre dans les villes revêt également des dimensions socioéconomiques ou environnementales. 

"Les villes étaient des communautés dynamiques avec des maisons de gens riches qui pouvaient acquérir des articles en cuivre. Des riches vivaient probablement aussi à la campagne, mais ils ne dépensaient pas leur argent en cuivre", a déclaré Rasmussen.

208 des 533 squelettes de l'étude proviennent d'un cimetière de Ribe et couvrent une période de 1000 ans, s'étendant de l'Âge Viking avec le XIème siècle, au Moyen-Âge jusqu'au XIXème. "Ces squelettes nous montrent qu'il y a eu une exposition continue au cuivre tout au long de la période. Ainsi, pendant 1000 ans, les habitants ont consommé du cuivre via leur alimentation quotidienne."

Au cours de l'Âge Viking, l'exposition au cuivre fut légèrement inférieure à ce qu'elle était au Moyen Âge. Une tendance globale cohérente que les chercheurs rattache à l'augmentation des richesses et à l'importance de la région de Ribe jusqu'au milieu du XVème siècle, après quoi la ville a progressivement décliné et perdu son influence, au point de devenir une petite ville provinciale au début du XIXème siècle.

Article lu par Zélie Meldottir, en partenariat avec TVNC

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