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Danemark - Les amulettes de l'Âge Viking représenteraient des gens costumés et non des valkyries ou des dieux

D'après une nouvelle étude menée sur l’iconographie de l'époque viking, les amulettes en forme de figurines représenteraient des personnes costumées pour la pratique d'un rituel plutôt que des dieux ou des valkyries. Une interprétation d'ores et déjà primée qui emporte l'adhésion des autres chercheurs.

Il est parfois difficile de faire la part des choses entre la mythologie et la dimension culturelle de l'Âge Viking, tant les images de valkyries, de marteau de Thor et de dieux du panthéon nordique se bousculent en tête à la simple évocation de cette période.

C'est peut-être pour cette raison que de nombreuses découvertes d'amulettes faites par les archéologues, représentant entre autres des femmes armées, ont été interprétées jusqu'à présent comme étant des figurines à l'effigie de divinités protectrices et de héros mythiques. Une approche remise en question par une équipe de chercheurs danois dont les travaux ont été publiés le 5 Août 2021 dans la revue Medieval Archaeology.

Les auteurs ont eu recours à une méthode de modélisation 3D innovante, déjà employée pour recréer un moule découvert à Ribe [cf. Danemark - Une valkyrie de l'Âge Viking recréée en 3D]. Mais cette fois-ci, ils l'ont utilisée pour pouvoir comparer des figurines mises au jour un peu partout en Europe du Nord, de l'Angleterre à la Russie en passant par la Scandinavie. Selon eux, ces bijoux montreraient des gens en train d'exécuter un rituel, ce qui aurait plus de sens d'un point de vue religieux.

 

Une mine d'informations

Cette étude a été rendue possible grâce à la découverte en 2017 d'un atelier de bijoutier à Ribe, datant du début du VIIIème siècle. Dans et autour de cette zone, les archéologues de l'Université d'Aarhus ont mis au jour plus de 7000 fragments de moules en argile, parfois à peine plus grand que la taille d'un ongle.

Trouver de tels vestiges, qui plus est dans le sol de la plus ancienne ville du Danemark, est quelque chose de rare. C'est une véritable mine d'informations pour les chercheurs. "En utilisant un moule, vous pouviez faire des centaines de répliques [de figurines]", a précisé Søren Sindbæk, archéologue et professeur à l'Université d'Aarhus, co-auteur de l'étude.

Il y a aussi plusieurs avantages au fait que ces moules proviennent du même endroit, contrairement aux amulettes et pendentifs trouvés çà et là dans différents sites. D'après lui, cela vient notamment renforcer l'idée que toutes ces figurines sont reliées entre elles. "Et puisqu'ils [les moules] se trouvent dans un contexte spécifique, un atelier, ils sont plus faciles à dater qu'une seule amulette trouvée dans un champ par une personne avec un détecteur de métaux."

 

Une technologie de dentisterie pour l'assemblage des pièces

Étant donné l'état de conservation des moules, totalement brisés, il était difficile pour les chercheurs de se faire une idée exacte de la forme des bijoux qu'ils servaient à produire. 

Aussi, les scientifiques ont utilisé un scanner laser dont les dentistes se servent couramment lorsqu'ils doivent, par exemple, fabriquer des prothèses dentaires. Cet appareil, si sensible qu'il permet de détecter les plus infimes détails, a rendu possible l'assemblage des fragments et la reconstitution des modèles au travers d'images numériques en 3D.

"En reconstituant les formes des amulettes, nous pouvons voir en détails ce à quoi elles devaient ressembler. C'est comme pouvoir regarder une découverte qui n'a pas vraiment été 'trouvée'", a déclaré Sarah Croix, professeure assistante à l'Université d'Aarhus et co-auteure de l'article.

 

Des moules de Ribe à la tapisserie d'Oseberg

L'un des moules reconstitués était destiné à la production en série d'un pendentif bien connu sur le thème de la "valkyrie". Toutefois, plus les chercheurs avançaient dans l'assemblage des moules, plus la théorie selon laquelle les amulettes pourraient figurer des êtres mythiques leur semblait suspecte.

Les moules de l'atelier de Ribe servait à fabriquer des figurines de femmes portant des armes et des boucliers, mais aussi des figurines d'hommes se tirant les cheveux ainsi que des objets du quotidien, des roues, des chevaux et d'autres représentations non mythologiques.

Les chercheurs ont comparé leurs modèles aux motifs de nombreuses autres découvertes répertoriées non seulement dans les rapports de fouilles menées par des professionnels en Europe du Nord, mais aussi via les pages Facebook des groupes de détectoristes. "Et il s'avère que les motifs de chacune des découvertes individuelles sont loin d'être uniques", relève Pieterjan Deckers, post-doctorant à la Vrije Universiteit Brussel, à Ixelles, également co-auteur de l'article.

En outre, tous les modèles de figurines produits à Ribe peuvent être reconnus sur l'une des rares représentations visuelles de l'Âge Viking conservées: la tapisserie d'Oseberg. Le tissu brodé vieux de 1200 ans représente une procession religieuse avec des chariots à roues, des chevaux, des femmes portant des armes et des personnes portant des casques, notamment un casque à cornes, ou des costumes d'animaux. Pour Søren Sindbæk, il ne fait aucun doute qu'il s'agit de la même déclinaison de motifs. 

 

Des Vikings costumés?

Ces figurines de l'Âge Viking représenteraient des hommes et des femmes dans la pratique d'un rituel, et non des divinités - Photos: Pieterjan Deckers, Sarah Croix et Søren SindbækConsidérées dans leur ensemble, les amulettes fabriquées à Ribe pourraient bien offrir un nouveau regard sur une cérémonie ayant eu une signification particulière pour les gens de l'Âge Viking en Scandinavie et les personnes qui y prenaient part. "Les femmes étaient très présentes dans ces rituels", a souligné l'archéologue, tout en rappelant qu'elles étaient un personnage central dans le contexte domestique de l'époque, impliqué dans les pratiques du culte au sein-même du foyer. Un fait attesté par les sources écrites comme les découvertes archéologiques.

Jusqu'alors, les petites figurines de femmes armées passaient généralement pour être des valkyries ou des 'skjaldmær' [i.e jeunes femmes armées d'un bouclier dans la mythologie nordique], mais Søren Sindbæk et son équipe ont relevé plusieurs incohérences: les femmes tiennent leur épée d'une étrange manière, à l'envers, sous le bras ou derrière le bouclier, comme pour souligner qu'ils ne s'agit pas d'une arme destinée au combat, leurs casques ressemblent à des casques romains et elles portent des robes longues avec des traînes - une tenue qui n'est pas adaptée au combat. 

D'après les auteurs, il est donc plus probable qu'il s'agisse de femmes costumées et équipées de manière transgressive dans le cadre d'un rituel, plutôt que de valkyries ou de guerrières. 

De même, les figurines masculines ne portent pas d'arme; au lieu de cela, elles tiennent leurs cheveux longs dans leurs mains et ont des yeux disproportionnés, ce qui pourrait indiquer le port d'un masque cérémoniel.

 

"Les gens n'ont jamais vu de dieu ou de saint"

Les chercheurs ont consulté des Historiens des Religions pour leur soumettre cette nouvelle lecture cultuelle des amulettes. "Ce qui est amusant, c'est que lorsque vous posez la question à un chercheur en Histoire des Religions, il vous dit de prime abord qu'il est assez courant de représenter les rituels plutôt que les dieux dans les images religieuses", rapporte Søren Sindbæk, avant d'ajouter: "Les gens n'ont jamais vu de dieu ou de 'saint', donc les représentations se fondent sur les célébrations religieuses bien plus qu'on ne le pense."

Sarah Croix, qui a travaillé sur le site de Ribe pendant 10 ans et qui a organisé la numérisation et la reconstruction 3D des morceaux de moules en argile, s'intéresse plus particulièrement à l'ambiguïté que donnent à voir les figurines quant aux rôles de genre traditionnels: "Vous avez des femmes portant des armes et des hommes tirant sur leurs cheveux, ce qui est un geste féminin." 

Il est courant lors d'un rituel ou d'une cérémonie religieuse que les participants entrent dans une sorte de transe chamanique, une phase dite liminale, où les règles, les normes ordinaires et les rôles de genre sont abrogés, voire inversés. Ce type de processus est à l'oeuvre dans les traditions de nombreuses autres cultures à travers le monde.

Ainsi, le rôle rempli par ces figurines aurait été, d'après les auteurs, d'agir précisément comme des amulettes, "en prolongeant l'effet du rituel au-delà du moment où il se déroulait, mais aussi comme marqueurs d'un rôle social".

 

Une inspiration venue de Rome

Danemark - Le moule de la femme armée de Ribe et sa reconstitution en 3D - Photo: Sarah CroixL'une des figurines féminines de l'atelier de Ribe a retenu l'attention des chercheurs car elle porte un casque qui rappelle beaucoup le casque romain, avec des paragnathides qui viennent protéger les joues et un bouton sommital - un casque pourtant désuet à l'Âge Viking. 

"Ribe était alors une ville commerçante qui fabriquait ces amulettes en série, ce que l'on peut voir au fait que les motifs étaient très répandus", a rappelé Søren Sindbæk. Selon lui, cette figurine au casque particulier montre combien la ville a aussi été influencée par d'autres cultures.

Mais dans ce cas précis, comment cela a-t-il pu se produire? "Bien sûr, ils ont peut-être trouvé un vieux casque, mais il est plus probable qu'ils l'aient vu sur des pièces de monnaie romaines", a suggèré l'archéologue. Les pièces romaines montraient souvent des figures casquées telles que Victoria, la déesse romaine de la victoire, qui apparaissait également armée à l'instar de la figure féminine de Ribe.

"Il n'est pas du tout rare que des motifs romains soient ravivés dans les cultures ultérieuresPar conséquent, cette étude nous rappelle également que le monde viking était très relié au monde extérieur, et que ce que nous considérons souvent comme typiquement nordique ne l'est pas nécessairement", a expliqué Pieterjan Deckers.

 

Au-delà d'une interprétation simpliste

Les chercheurs ne sont pas les premiers à utiliser des reconstitutions en 3D pour faire de nouvelles découvertes, mais selon Leszek Gardela, archéologue du Musée national du Danemark, c'est la première fois qu'une comparaison de cette ampleur entre tous les modèles de pendentifs est faite. 

"Ils s'éloignent d'une interprétation simpliste des femmes et des armes, où elles sont toutes des Valkyries et des guerrières, et plaident en faveur d'autre chose. Il est bon de se rappeler qu'il n'y a pas de façon fixe d'interpréter ce matériel", a-t-il commenté après avoir pris connaissance de l'article.

Les conclusions des auteurs viennent corroborer certaines de ses propres découvertes sur des tombes de l'Âge Viking dans lesquelles les femmes ont été inhumées avec des armes disposées de manière inhabituelle - l'épée à gauche (alors qu'elle se trouve généralement à droite dans les autres sépultures).

"La recherche est difficile à ce stade car il n'est pas toujours simple de séparer les croyances et les rituels qui montrent ces croyances" a déclaré Charlotta Lindblom, inspectrice du musée de Vejle, qui s'est également penchée avec intérêt sur cette étude. Elle convient du fait que les amulettes devaient servir à rendre les mythes plus concrets, ce qu'elles ont peut-être fait en montrant des personnes lors de rituels:  "Je suis d'accord pour dire que les rôles de genre sont souvent déconstruits pendant les rituels, donc l'interprétation s'accorde immédiatement bien avec les motifs sur les amulettes."

 

Une méthode pleine de promesses

Les chercheurs à l'origine de l'étude sont impatients d'utiliser la reconstruction 3D comme méthode dans d'autres contextes archéologiques afin obtenir davantage de matériel avec lequel travailler à la découverte du passé.

Mais l'interprétation-même, selon eux, est aussi innovante car elle devrait permettre de mieux comprendre les rituels des Vikings, un sujet encore largement méconnu.

"C'est un pas en avant pour ne plus considérer les découvertes religieuses comme des images de personnages mythiques et les étudier plutôt comme une source de connaissances sur la façon dont les gens pratiquaient réellement leur religion", conclut Pieterjan Deckers. "Les gens du passé et leur culture sont, après tout, l'essence-même de l'Archéologie."

Ce nouvel article scientifique a remporté le prix Martyn Jope 2021 de la meilleure contribution de l'année à la revue Medieval Archaeology. Ce prix est décerné par la Société d'Archéologie médiévale aux chercheurs pour "la meilleure interprétation innovante, la meilleure utilisation d'une méthode analytique ou la meilleure présentation de nouvelles découvertes".

 

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