IDAVOLL

Groenland - L'histoire des Vikings est en train de fondre

Le changement climatique est déjà en train de dégrader des sites archéologiques dans l'Arctique et les colonies scandinaves de l'Âge Viking sont en première ligne.

Les fjords du Groenland sont bordés de colonies scandinaves de l'époque viking qui ont prospéré pendant moins de 500 ans avant d'être mystérieusement abandonnées. Et maintenant, cette culture perdue connaît une seconde disparition, déclenchée par le changement climatique.

Selon une nouvelle étude publiée le 11 Juillet 2019 dans la revue Scientific Reports, les établissements vikings sont ceux de tous les sites archéologiques du Groenland qui risquent le plus de disparaître à mesure que l'Arctique se réchauffe. L'étude estime que près de 70% de la matière organique dans ces sites pourrait se décomposer d'ici 2100.

Tout l'arctique est concerné

Groenland - La calotte glaciaire du Groenland - Image: NASACe qui sera perdu est un registre unique de matériaux remarquablement préservés: poils, textiles, ossements humains et squelettes d'animaux, bois, fourrures, cuirs. Au fur et à mesure que le sol se réchauffe et que le nombre de jours sans gel augmente, les microbes attaquent ces matières organiques fragiles, les faisant pourrir. 

Les changements se produisent déjà près de la capitale du Groenland, Nuuk, explique Jørgen Hollesen, auteur principal de l'étude et chercheur au Musée national du Danemark. "Nous avons ici des sites où nous savons que beaucoup d’artefacts, beaucoup d’ossements ont été trouvés, il y a 40 ans - mais aujourd’hui, il n'en reste plus beaucoup. Il y avait des ossements auparavant, mais maintenant c'est juste cette bouillie en grain fin."

"Il s'agit clairement d'un énorme problème dans l'ensemble de l'Arctique", a déclaré Anne Jensen, archéologue à l'Université de l'Alaska, à Fairbanks, qui fouille des sites sur le versant nord de l'Alaska. Anne Jensen a travaillé avec Jørgen Hollesen sur un article de synthèse publié l'année dernière dans la revue Antiquity à propos des dommages imminents causé par le réchauffement, mais n'a pas participé à la présente étude. Elle affirme que les nouvelles recherches et travaux similaires pourraient aider les archéologues à prendre des décisions difficiles concernant les sites qu'il faut se dépêcher de fouiller, et ceux à laisser de côté.

 

Une perte irrémédiable pour l'Archéologie d'ici 30 ans

À mesure que l'Arctique se réchauffe, les sites archéologiques font face à de multiples menaces. L'érosion côtière et l'élévation du niveau de la mer peuvent submerger les vestiges. La densité croissante de la végétation peut masquer les traces superficielles de sites archéologiques et les racines peuvent pénétrer dans les couches archéologiques et les brouiller. Enfin, dans un sol plus chaud, les microbes peuvent devenir plus actifs, dévorant une matière organique restée longtemps préservée.

La nouvelle étude se concentre sur ce dernier danger. Jørgen Hollesen et ses collègues ont installé des stations météorologiques automatisées sur cinq sites archéologiques de la région de Nuuk, qui ont recueilli des données pendant deux ans. Ils ont également prélevé des dizaines d'échantillons de sol et de matières organiques dans la terre de sept sites répartis sur une ligne de 120 km allant de la mer à l'est jusqu'à la calotte glaciaire intérieure. Ces prélèvements ne se sont pas limités aux colonies scandinaves, qui existaient entre 985 et 1350 environ; d'autres sites de la culture Saqqaq (de 2500 à 800 avant notre ère), de la culture Dorset (de 300 avant notre ère à 600 de notre ère) et de la culture Thulé (de 1300 de notre ère jusqu'à nos jours) sont également concernés.

Les chercheurs ont soumis ces échantillons à diverses analyses, allant de la porosité à la capacité de conduire la chaleur. Ils ont également testé la rapidité avec laquelle la matière organique des sols se décomposait sous différentes conditions d'humidité et de température. Ils ont ensuite intégré ces informations dans un modèle informatique utilisé normalement pour prédire les changements dans le sol provoqués par la fonte du pergélisol.

Les résultats ont montré que si les températures augmentaient de 2,5°C ou de 5°C, ces sites risquaient de perdre entre 30% et 70% de leurs matières organiques. Et les sites de l'Âge Viking se situaient au sommet de l'échelle car ils sont situés à l'intérieur des terres, où les sols sont secs. Un sol plus sec donne aux microbes un accès à une plus grande quantité d'oxygène, ce qui les rend plus actifs. Les chercheurs estiment que 35% des matières organiques présentes sur les sites vikings pourraient disparaître en seulement 30 ans.

 

Hiérarchiser les priorités

Cette perte sera un coup dur pour la recherche sur les Vikings, a confié Douglas Bolender, un archéologue de l'Université du Massachusetts à Boston, qui a étudié la colonisation de l'Atlantique Nord à l'Âge Viking mais qui n'a pas participé à cette nouvelle étude. Douglas Bolender explique que le Groenland est unique dans le monde viking en qui concerne la conservation des cheveux, des textiles, des os d'animaux et autres matériaux fragiles. Certains de ces matériaux ouvrent des fenêtres sur des aspects de la société qui seraient autrement invisibles, selon lui. Les textiles, par exemple, sont l’un des rares artéfacts durables du travail des femmes.

"Lorsque nous perdons certains types de matériaux, en particulier les produits organiques, nous effaçons en réalité le vécu de certains types de personnes", a ajouté Douglas Bolender. Des techniques de pointe telles que l'analyse de l'ADN peuvent également révéler une énorme quantité d'informations sur la façon dont les gens se sont déplacés et mélangés. Il s'agit maintenant d'une course contre la montre pour pouvoir appliquer ces moyens aux matières organiques du Groenland.

Cependant, il serait impossible de fouiller les quelques 180 000 sites archéologiques connus du Groenland avant que les dégâts ne soient causés, relève Jørgen Hollesen. Les sites russes, canadiens et alaskiens subissent tous les mêmes pertes, a-t-il précisé. Même si les archéologues pouvaient tout sauver, il n'y aurait pas assez d'espace dans les musées du monde pour tout conserver.

Jørgen Hollesen et son équipe travaillent actuellement à combiner leurs nouvelles informations sur les sols avec des données sur l'érosion côtière et les dommages causés à la végétation afin de produire une évaluation complète des risques pour le Groenland, de sorte que les archéologues puissent commencer à hiérarchiser leurs priorités. Mais parmi les archéologues de l'Arctique, il existe déjà un sentiment de deuil. "C'est le patrimoine culturel des gens, et ils le perdent",  a commenté Anne Jensen.

D'après les données des stations GPS et les satellites du programme Grace (Gravity Recovery and Climate Experiment) de la Nasa et de l'agence spatiale allemande (DLR), le Groenland a perdu 280 milliards de tonnes de glace par an entre 2002 et 2016, occasionnant une hausse annuelle de 0,8 millimètre du niveau des océans.

viking archéologie Groenland réchauffement climat

  • 1 vote. Moyenne 5 sur 5.

Ajouter un commentaire