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Islande - Une structure naviforme et des artefacts de l'Âge Viking au fond d'une grotte pour éviter la fin du monde

Les archéologues ont découvert des ossements en quantité et des artefacts rares, provenant pour une part du Moyen-Orient, dans une grotte islandaise que les Vikings associaient au Ragnarök, synonyme de fin du monde et de la mort des dieux. Une opportunité d'acquérir de nouvelles informations sur les pratiques rituelles à l'Âge viking, la colonisation et la conversion de l'Islande au christianisme.

La grotte de Surtshellir, longue de 1600 mètres, se situe dans le champ de lave de Hallmundarhraun, non loin d'un volcan qui s'est réveillé il y a près de 1100 ans. Les Vikings avaient alors déjà colonisé l'Islande et durent apporter des réponses culturelles et cultuelles à un environnement volcanique hostile.

"Les impacts de cette éruption [volcanique] ont dû semer le trouble, posant des défis existentiels aux colons islandais fraîchement arrivés", souligne les chercheurs dans l'étude qu'ils ont publiée au mois de février dans la revue scientifique Journal of Archaeological Science.

Jadis condamnée par un mur de pierre d'une hauteur d'au moins 4 mètres, l'un des plus massifs de l'Islande pré-chrétienne, la partie de la grotte de Surtshellir visitée par les Vikings a été divisée en deux secteurs distincts:

  • Beinahellir ("la grotte des os"), ponctué de sept piles d'ossements d'animaux domestiques sacrifiés, dont une partie fut consumée par les flammes à l'intérieur même de la cavité,
  • Vígishellir ("la grotte forteresse"), surnommé ainsi en raison d'un enclos en pierre sèche qui s'y trouve ainsi que pour la présence du vestige le plus connu de la grotte, une structure naviforme faite de rangée de pierres. 

 

Un bateau de pierres et des os brisés par milliers

Islande - La structure naviforme et des ossements dans le coin gauche témoignent des pratiques rituelles de l'Âge Viking dans la grotte de Surtshellir - Photo: Kévin P. SmithLes fouilles dirigées sur le terrain en 2001, 2012 et 2013 par Kevin Smith, directeur adjoint et conservateur en chef du Musée d'Anthropologie Haffenreffer de l'Université Brown, montrent qu'après le refroidissement de la lave, les Vikings sont entrés dans la grotte. Ils y ont construit, à 235 mètres de l'entrée et à plus de 10 mètres de profondeur, une structure naviforme en pierres qui pourrait être l'une des plus anciennes structures vikings  au monde quasiment intacte.

Dans une autre partie de la grotte, les archéologues ont découvert un tas d'ossements. 7500 fragments d'os brisés représentant les restes d'environ 200 animaux domestiques, principalement des moutons et des chèvres, mais aussi des bovins, des porcs et des chevaux ont été dénombrés, sans compter tous ceux dérobés par les touristes au fil du temps. La datation par le radiocarbone et l'âge de la coulée de lave placent les ossements aux alentours de 890-930, soit peu après l'arrivée des premiers colons.

Clairement séparés du dépôt principal, d'autres fragments d'os furent brûlés cette fois-ci à des températures élevées. Enfin, les ossements d'animaux composant 6 autres tas plus petits situés près de l'enclos, dans le tunnel principal et dans la deuxième galerie latérale, sont contemporains des premiers. D'après l'étude, ils furent tous déposés dans la grotte sur une période de 80 à 120 ans.

 

L'exotisme des perles et de l'orpiment

Dans la couche de sable qui tapisse le sol de Surtshellir, les archéologues ont mis au jour 63 perles de verre, l'un des plus importants ensembles jamais découverts en Islande en dehors des sépultures d'après Smith. Autres faits remarquables, leurs couleurs se limitent étrangement au vert, au bleu et au jaune, et 3 d'entre elles viendraient d'une région qui correspond de nos jours à l'Irak. 

Autour de ces perles, les chercheurs ont détecté de petites traces d'orpiment, un précieux et toxique pigment jaune à base d'arsenic issu d'un minéral introuvable en Islande à l'époque. Bien qu'utilisé ailleurs pour décorer des objets, il en existe peu de traces archéologiques en Scandinavie-même. "En trouver à l'intérieur de cette grotte fut un grand choc", a confié Smith. Il en déduit que les perles et l'orpiment pourraient avoir fait partie d'un objet d'une grande valeur, reliant Surtshellir à des rituels pratiqués par l'élite de la société de l'époque.

Les archéologues ne savent pas pourquoi des biens aussi rares, provenant d'aussi loin que le Moyen-Orient ont été laissés dans la grotte. Mais les Vikings ont voyagé jusqu'au Moyen-Orient et ces marchandises ont pu arriver en Islande par les routes commerciales qui s'étendaient jusqu'à l'est de la Turquie.

 

Des rituels pour repousser la fin du monde

Depuis les années 1750, le site a été interprété comme un abri de hors-la-loi, mais aux XIIème et XIIIème siècles, indiquent les auteurs de l'étude, il était associé dans les récits islandais médiévaux à des actions dirigées vers un être élémentaire - Surtr - qui donne son nom à la grotte. Surtr, dans la mythologie nordique, est un géant du feu présent lors de la création du monde mais censé le détruire en déclenchant un gigantesque incendie après l'ultime combat des dieux. 

D'après Smith,"il semble indéniable que le site et son mobilier sont le produit d'une réponse rituelle à un événement volcanique cataclysmique". La grotte aurait donc été le site de rituels destinés soit à apaiser Surtr, soit à honorer Freyr, le dieu nordique de la fertilité et de l'agriculture, dans l'espoir qu'il puisse vaincre le géant et mettre un terme au Ragnarök. Les animaux domestiques et les couleurs spécifiques des perles peuvent selon toute vraisemblance constituer des sacrifices à Freyr. 

Si dans les récits mythologiques Freyr est vaincu par Surtr, le conservateur relève que les rituels semblent avoir plutôt bien fonctionné puisque "le volcan n'est plus jamais entré en éruption". Le Musée national Ólafsson ne semble pas complètement convaincu du bien-fondé de cette nouvelle interprétation mais reconnaît que le site, par bien des aspects, est inhabituel et complexe. En dépit de l'absence de preuves, l'occupation de la grotte par un groupe de marginaux demeure pour eux l'explication la plus probable, soutenue par les traditions culturelles.

 

De Surtr à Satan

Il n'est pas difficile d'imaginer qu'un endroit considéré comme la porte d'entrée de Muspelheim [nom du royaume du géant Surt], ait pu alimenter des histoires de prêtres révoqués, de tortures et de gangs terrorisant la campagne. Qu'elle soit associée à des géants ou à des hors-la-loi, Surtshellir apparaît menaçante. 

Au centre de la structure naviforme, les archéologues ont trouvé une croix et trois autres pièces, toutes en plomb. Smith pense qu'il s'agit d'un ensemble complet de poids utilisés non pas pour le commerce mais pour rendre la justice, car ils totalisent 26 grammes, soit un poids standard qui servait aux Vikings à calculer l'indemnisation pour la perte d'un esclave, pour une blessure ou un meurtre.

Selon lui, ils n'auraient pas été abandonnés par des hors-la-loi, mais plutôt placés là délibérément pour mettre fin à la tradition des offrandes rituelles païennes alors que l'Islande devenait chrétienne. Les Islandais se sont convertis au christianisme il y a environ 1000 ans; en une génération, les dépôts d'objets dans la grotte de Surtshellir cessèrent et les gens évitèrent le site pendant plus de 600 ans. 

Pourtant, longtemps encore, le peuple islandais continua d'établir un lien entre la grotte et la fin du monde. Une tradition chrétienne considère notamment qu'elle est "l'endroit où Satan émergera le jour du jugement dernier", rapportent les auteurs.

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