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Norvège - 45 000 artefacts à l'étude pour sauver de l'oubli l'histoire de la ville viking de Borgund

Avec Borgund, une petite ville millénaire dont l'emplacement précis avait fini par tomber dans l'oubli, il est question de la plus grande découverte archéologique de l'Âge Viking et du Moyen Âge en Norvège, en dehors des grands centres urbains. Près de 110 ans plus tard, une équipe multidisciplinaire de chercheurs s'attèle pour la première fois à l'étude des dizaines de milliers d'artefacts, avec pour objectif de reconstituer toute l'histoire du lieu.

C'est en débroussaillant le terrain du presbytère de Borgund, près d'Ålesund, en Mars 1912, que tout a commencé. Des vestiges d'habitat urbain d'abord, puis de très nombreux objets remontant à l'Âge Viking et au Moyen Âge ont refait surface durant les premières décennies du XXème siècle. Au total, 31 campagnes de fouilles furent menées à Borgund, au cours desquelles les archéologues mirent au jour 45 000 artefacts et un matériel ostéologique tout aussi conséquent. Entreposés en grande partie dans le sous-sol du Musée universitaire de Bergen, il ne se passa pas grand-chose par la suite. Du moins jusqu'à aujourd'hui.

 

Fondée à l'époque viking

L'histoire de Borgund, dont le nom est cité dans les sagas, a sans doute débuté au Xème ou au XIème siècle. "Borgund a probablement été construite au cours de l'Âge Viking, ou dans la dernière partie de l'Âge Viking" déclare Gitte Hansen, professeure en Archéologie médiévale et chercheuse à l'Université de Bergen. "Dans les rares sources écrites dont nous disposons sur Borgund au Moyen Âge, elle est désignée comme l'un des 'petits marchés' de Norvège".

Elle fut pourtant la plus grande ville et paroisse de la côte norvégienne, entre Bergen et Trondheim, où le commerce et la religion occupaient une place importante. Le développement de la cité pourrait avoir connu son apogée au XIIIème siècle, avant que n'arrive en 1349 la peste noire et que le climat en Norvège ne se refroidisse. 

Vers la fin du XIVème siècle, Borgund se mit lentement à décliner, jusqu'à disparaître complètement sous terre au XVIème siècle, effacée des mémoires.

Toutefois, dans le sous-sol du Musée universitaire de Bergen, derrière une simple porte équipée d'un système d'alarme, se trouvent des dizaines de milliers d'objets fouillés il y a plus d'un demi-siècle, sur le point de faire revivre le passé millénaire de la ville. 

 

Une équipe internationale

Les fouilles se sont déroulées à Borgund sur plusieurs saisons: en 1912, 1940 et 1953/1954, puis en continu de 1954 à 1964 et de 1965 à 1967. D'autres investigations furent diligentées en 1971, 1973, 1975, de 1980 à 1983, et en 1990. Les plus récentes, menées par le Musée universitaire de Bergen, datent de 2014. 

"Les 45 000 objets découverts sur le site de 5 300 mètres carrés à Borgund ont seulement été entreposés. Pratiquement aucun chercheur ne s'est penché sur ce matériel depuis les années 1970", rapporte Gitte Hansen, qui est d'origine danoise. Cette dernière est à l'initiative du projet de recherche qui, cette fois, ne consiste pas à faire de nouvelles fouilles mais plutôt à étudier en profondeur les artefacts de Borgund afin d'en extraire autant de connaissances que possible.

Grâce à un financement de plusieurs millions alloués par le Conseil de la Recherche et la contribution de plusieurs autres instituts de recherche norvégiens, une équipe internationale et multidisciplinaire a été réunie. Elle est composée de chercheurs en Allemagne, en Finlande, en Islande et aux États-Unis, issus de disciplines aussi diverses que l'Archéologie, la Géologie, l'Ostéologie, la Métallurgie, l'étude des Langues nordiques, des textiles anciens ou encore l'Histoire de l'Art.

Une équipe très compétente, promet Hansen, enthousiaste à l'idée qu'ils vont parvenir tous ensemble à lever le voile sur l'histoire de la ville.

 

Un vaste matériel archéologique 

Norvège - Les fouilles de Borgund en 1954 et le Borgundfjord en arrière-plan - Photo: Asbjørn Herteig/ Musée universitaire de Bergen"C'est un gros travail que de se plonger dans un matériel archéologique aussi vaste", admet l'enseignante. "De plus, nous nous attaquons à un matériel [archéologique] qui a été mis au jour il y a de nombreuses années".

Les fouilles ont été menées à Borgund par Asbjørn Herteig, qui fut l'un des pionniers de l'Archéologie médiévale. Il a notament été l'un des premiers archéologues en Europe à se pencher sur les objets courants des gens ordinaires au Moyen Âge. " Avant Herteig, il était surtout question d'églises, de monastères et de châteaux. Herteig, lui, collectionnait des choses insignifiantes du Moyen Âge", a-t-elle rappelé. "Des objets tels que des semelles de chaussures, des morceaux de tissu, des scories et des tessons, sont des sources archéologiques qui racontent la vie quotidienne de la plupart des gens".

Or, une grande partie de ce qui a été trouvé à Borgund est constituée de textiles de l'époque viking et du Moyen Âge norvégien, susceptibles de fournir de nouvelles informations sur les vêtements que les gens portaient en Norvège il y a 1000 ans. 

C'est une véritable aubaine, d'après Gitte Hansen, que les archéologues aient déterré toutes ces pièces de tissus il y a 60 ou 70 ans. Mais stockées le plus souvent sans travaux de conservation, s'inquiète-t-elle, quid de leur état actuel?

 

Au moins depuis la fin du Xème siècle

La cheffe de projet espère que les découvertes de Borgund apporteront de nombreuses réponses et permettront de faire des découvertes hors d'atteinte pour les scientifiques des années 1950 ou 1960.

"Le simple fait de découvrir quand Borgund a été créée sera un travail important", confie-t-elle. 

Il est question d'un établissement dense, avec au moins 3 églises, voire 4, des maisons, des puits, des routes, des quais et plus de 300 tombes répertoriées. La ville, située  à quelque distance d'Ålesund, couvrait une assez grande zone délimitée par le Borgundfjord connu, entre autres, pour la Borgundfjordfisket - une pêche à la morue abondante qui a lieu le plus souvent à la fin de l'hiver, en Février et Mars.

Les analyses de céramiques, de textiles, de restes de fer et de meules de Borgund ont néanmoins déjà commencé à donner des résultats. "Nous savons maintenant que Borgund devait déjà exister à la fin du Xème siècle. Il semble qu'il y ait eu un développement soutenu jusqu'aux alentours de 1350. Un certaine activité s'est même poursuivi au-delà", indique Gitte Hansen, avant de préciser: " Mais il est trop tôt pour dire avec certitude durant combien de temps la ville a existé".

 

Des contacts avec toute l'Europe

Parmi les vestiges de Borgund entreposés dans le sous-sol du Musée de Bergen, les chercheurs découvrent des céramiques de presque toute l'Europe.

"Nous relevons beaucoup de vaiselle anglaise, allemande et française", indique la chercheuse. Les personnes qui vivaient à Borgund se sont peut-être rendus dans des lieux tels que Londres, Lübeck ou Paris, stipule-t-elle, où ils ont pu être inspirés par l'art, la musique et la façon de se vêtir.

La ville de Borgund était probablement l'une des plus riches au XIIIème siècle. "Les pots et la vaisselle en céramique ou en stéatite de Borgund sont si passionnants que nous avons un chercheur en train de se spécialiser uniquement dans ce domaine. Nous espérons apprendre quelque chose sur les habitudes alimentaires et les mœurs à table ici, à la périphérie de l'Europe, en regardant comment les gens fabriquaient et servaient la nourriture et les boissons".

 

La vie à Borgund

Dans le cadre du projet Borgund, les chercheurs tentent de savoir à quoi ressemblait la vie des gens de l'époque dans cette petite bourgade. De quoi était fait leur quotidien? Que mangeaient-ils? Portaient-ils les mêmes vêtements que les gens ailleurs en Europe à cette époque?

Il semble déjà assez évident, résume Gitte Hansen, que les habitants de Borgund n'étaient pas tous indigènes: "De nombreux indices montrent que les gens d'ici ont eu des contacts directs ou indirects avec d'autres personnes dans une grande partie de l'Europe". 

Était-ce en raison du vaste commerce de stockfish [filets de poisson séchés à l'air libre] entre la Norvège et l'Europe? Les habitants de Borgund livraient-ils beaucoup de poissons à la Ligue hanséatique?

 

Du poisson et du fer en quantité

"Beaucoup de choses donnent à penser que le poisson était important à Borgund", confirme Hansen.

En collaboration avec le Musée des Sciences de Trondheim, les nombreuses arêtes de poissons découvertes à Borgund font l'objet d'un examen approfondi. Il s'agit en grande partie de poissons entiers, ce qui porte les chercheurs à penser que les habitants mangeaient eux-mêmes beaucoup de poissons.

"On trouve aussi énormément de matériel de pêche. Cela suggère que les habitants de Borgund en personne pêchaient peut-être beaucoup. La riche pêcherie en cabillaud dans le Borgundfjord pourrait trouver là ses origines", a-t-elle poursuivi.

En outre, près d'un quart de toutes les découvertes faites à Borgund sont en métal. Aussi le travail du fer pourrait avoir constitué un autre pan des activités prospères dans cette ville de l'ouest de la Norvège. 

 

250 pièces de tissu et 340 chutes de cuir

Norvège - Une partie des pièces de tissu trouvées à Borgund et conservées au Musée universitaire de Bergen. Le plus ancien a plus de 1000 ans - Photo: Bård Amundsen/ Forskning.noMême si les textiles mis au jour à Borgund n'ont pas été stockés aussi bien que les chercheurs l'auraient souhaité, ils forment encore à eux-seuls un sujet d'étude majeur. 

Au départ, les scientifiques ont pensé qu'ils disposaient de 150 pièces de tissu provenant des fouilles, mais en réalité ils en ont dénombré 250.

À ce propos, Gitte Hansen souligne qu'un vêtement de l'époque viking à Borgund peut parfois être composé de près de 8 textiles différents.

Grâce à Asbjørn Herteig et ses collègues, de grandes quantités de chutes de cordonnerie ont par ailleurs été enregistrées. Cela représente pas moins de 340 restes de chaussures qui vont permettre aux chercheurs de mieux cerner la 'mode' et le type de cuir que les gens adoptaient pour se chausser à l'Âge Viking.

 

 

Un arrêté royal pour sauver la ville?

Les historiens ne savent étonnamment que peu de choses sur Borgund d'après les sources écrites. C'est la raison pour laquelle les archéologues et autres chercheurs jouent un rôle crucial dans cette étude de grande ampleur.

Néanmoins, une source historique importante existe. Il s'agit d'un arrêté royal de 1384 qui oblige les fermiers du Sunnmøre à venir acheter leurs marchandises à Borgund. "C'est ainsi que nous savons que Borgund était considérée comme une ville à l'époque", indique Gitte Hansen.

"En même temps, cet ordre peut être interprété comme une tentative de sauvetage afin que Borgund continue d'exister en tant que cité commerciale dans les années qui suivirent la peste noire au milieu du XIVème siècle", a-t-elle fait valoir. 

Le projet Borgund, initié en 2019 va se poursuivre jusqu'en 2023.

 

 

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