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Norvège - De l'influence de la Rome antique sur l'image de soi à l'Âge Viking

Dans le cimetière de Hunn, une tombe érigée à la fin de l'Âge Viking se démarque des autres. Sa ressemblance avec l'une des sépultures les plus spectaculaires de la période romaine en Norvège témoignerait, selon une récente étude, de la relation qu'entretenaient les anciens Scandinaves avec leur propre lointain passé.

Julie Lund est professeure associée au Département d'Archéologie, de Conservation et d'Histoire de l'Université d'Oslo. Dans le cadre d'un projet intitulé "Using the Past in the Past. Viking Age Scandinavia as a Renaissance?", elle a pu retracer, grâce à diverses tombes et dépôts d'artefacts, la façon dont les Vikings ont utilisé la culture matérielle du passé pour afficher leurs goûts, ce qu'ils aimaient, et montrer qui ils voulaient être.

La recherche a été publiée dans Archaeological Dialogues, vol. 29 et s'appuie sur des travaux antérieurs parus le le 15 Octobre 2021 dans le Cambridge Archaeological Journal.

 

Le site funéraire de Hunn dans l'ancien comté d'Østfold constitue un riche patrimoine culturel avec plus de 145 tumuli visibles couvrant une période de près de 2000 ans, de la fin de l'Âge du Bronze, 1100 avant notre ère, jusqu'à la fin de l'Âge Viking.

La partie occidentale de ce cimetière abrite des tombes datant de l'époque romaine, de la période de migration, de l'Âge du Fer et de l'Âge Viking. C'est précisément là que les chercheurs ont relevé plusieurs détails similaires entre deux tombes construites pourtant à des centaines d'années d'intervalle. La plus ancienne des deux, appelée Stubhøj, remonte à l'époque romaine, tandis que l'autre, nommée Store Vikingegrav (i.e "la grande tombe viking") date de l'époque viking.

 

Une distinction entre passé proche et passé lointain

D'après les travaux de Julie Lund, il existe différentes coutumes funéraires à l'Âge Viking faisant référence à des passés différents. "Les Vikings se référaient au passé d'une manière plus subtile qu'on ne le croyait jusqu'à présent. Par exemple, ils faisaient la distinction entre un passé proche et un passé lointain. Il est possible d'observer cela dans les tombes féminines où ont été déposés des objets de famille tels que des bijoux, tandis que dans d'autres tombes, telles que Store Vikingegrav, ont été trouvés des artefacts qui copient des objets datant de la période romaine 700 ans plus tôt ", expose-t-elle.

"La distinction entre des passés proche et lointain ne constitue sans doute pas quelque chose de particulièrement spécial à nos yeux. Cependant, ce que nous avons pu voir, c'est qu'ils ont établi des liens avec une partie spécifique du passé, à une époque où ils n'avaient pas vraiment idée de ce qu'avait été ce passé".

Très peu de tombes vikings reproduisent des tombes de l'époque romaine. Les chercheurs ne connaissent actuellement que deux autres sites funéraires en Norvège avec des sépultures semblables à celles de Hunn. Raison pour laquelle le professeur Lund a estimé que ces similitudes entre tombes romaines et vikings du cimetière de Hunn méritaient une étude plus approfondie.

"Hunn est un site funéraire remarquable car toutes les périodes de la préhistoire y sont représentées. C'est un lieu qui a été utilisé en continu pendant des milliers d'années. Il y a de nombreuses couches d'histoire là-bas, mais les Vikings ont choisi de copier une tombe particulière, à savoir la tombe de l'époque romaine la plus spectaculaire du site. Ce n'est pas une coïncidence et cela indique que l'époque romaine était précisément une période du passé avec laquelle ils ont souhaité établir un lien", affirme-t-elle.

 

La tombe viking était censée avoir l'air ancienne

Toutes les ressemblances entre les deux tombes, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, ont été examinées.

"Extérieurement, elles ont pour caractéristique commune d'avoir été construites aux meilleurs emplacements du site. La tombe romaine a été édifiée au sommet d'une crête, tandis que la tombe viking a été construite sur une pente de la même crête", indique Julie Lund.

Qui plus est, le pourtour des deux sépultures est dessiné par des pierres de dimension égale, formant une sorte de bordure. Ces dernières ont piqué la curiosité de l'archéologue.

Les pierres datent en réalité du Néolithique et ont également été utilisées pour les tombes de l'Âge du Bronze. Néanmoins, à cette époque, les pierres de bordure étaient intégrées au tumulus et faisaient partie de la structure. Alors qu'elles n'étaient pas visibles à l'Âge du Bronze, elles le sont devenues au fur et à mesure de l'érosion des tertres funéraires. C'est ce phénomène naturel qui a donné un aspect ancien aux tumuli de cette période et ce serait aussi, d'après l'archéologue, ce que les gens ont cherché à reproduire pour la tombe de l'Âge Viking: 

"Ce qui est intéressant à propos de Store Vikingegrav, c'est qu'elle a été construite comme une réplique. Elle était censée donner l'impression d'avoir traversé les âges".

 

Une histoire orale des anciens rites funéraires

Norvège - Copie datée de l'Âge Viking d'éperons d'équitation de l'époque romaine - Photo: Mårten Teigen/ Musée d'Histoire culturelle, UiO - CC-BY-SA 4.0L'intérieur de Stubhøj a également été répliqué dans la tombe de l'Âge Viking. Elles contiennent toutes deux un ensemble complet d'armes, de boucliers, de cornes à boire très rares et d'éperons d'équitation.

En outre, les deux sépultures ont accueilli les corps des défunts au sein de chambres funéraires meublées. "Stubhøj est la première tombe d'inhumation que nous connaissons à ce jour. Entre l'Âge du Bronze et l'époque romaine de cette tombe, ils brûlaient leurs morts. Il s'agit donc d'une rupture avec une tradition millénaire de crémation", souligne Julie Lund.

Ces ressemblances à l'intérieur entre les deux ont laissé les chercheurs d'autant plus perplexes que la tombe romaine n'a été ouverte qu'au début des années 1900. En d'autres termes, 900 ans après qu'elle ait été reproduite par des gens à l'Âge Viking.

"Nous ne pouvons pas dire que les Vikings ont copié quelque chose qu'ils avaient vu. Il est plus probable qu'ils aient copié quelque chose dont ils avaient entendu parler. La rupture de Stubhøj avec une tradition de crémation millénaire signifie que cela a dû être très important quand cela a eu lieu. Il n'est donc pas improbable que des histoires aient été racontées sur les rites funéraires, sur la personne enterrée là ou au sujet des liens qui furent créés grâce aux offrandes déposées dans la tombe", explique l'archéologue.

 

Relations sociales, conscience de soi et identité

En étudiant " la grande tombe viking", la chercheuse s'est concentrée sur l'impact de la culture matérielle du passé sur les gens de l'époque.

"Lorsque vous utilisez des éléments du passé, vous les faites exister ou les rendez importants dans le présent. C'est ainsi que la culture matérielle affecte les gens et vice versa. Se référer au passé en copiant une tombe de l'époque romaine signifie qu'ils n'ont pas seulement essayé de créer quelque chose qui avait l'air ancien. Le passé leur a également fourni une manière de raconter qui ils avaient été. Par conséquent, l'utilisation du passé par les Vikings se rapportait aux relations sociales, à la conscience de soi et à l'identité", avance l'archéologue.

Les objets de famille, comme les bijoux trouvés dans les tombes de femmes, étaient réservés à un certain type d'élite féminine et manifestaient des liens étroits de parenté, tandis que pour d'autres tombes, telles que les sépultures naviformes où les pierres autour de la tombe dessinent la forme d'un navire, les liens créés renvoyaient à des temps et des lieux lointains.

'Store Vikingegrav' est l'expression de nouvelles affinités qui ont été tissées à l'Âge Viking avec la lointaine Rome Antique, conclut Julie Lund. "Leur interprétation de la tombe romaine révèle ce qu'ils aimaient et cela nous dit quelque chose sur la façon dont ils se percevaient et qui ils voulaient être".

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