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Norvège - La Scandinavie de l'Âge du Fer et de l'Âge Viking se dévoile grâce aux toponymes

De temps à autre, il arrive que des chercheurs aient la chance de pouvoir s'écrier "Eurêka!", quand un ensemble d'informations se cristallise pour soudainement faire émerger une toute nouvelle théorie. C’est exactement ce qui est arrivé à Birgit Maixner du Muséum d'Histoire naturelle et d'Archéologie de Trondheim en étudiant à la fois des artefacts et des toponymes.

La chercheuse était en train de répertorier des découvertes faites par des prospecteurs équipés de détecteurs de métaux dans le sud-est de la Norvège, lorsqu'elle a eu une éclair de génie. "L'idée m'est venue alors que je travaillais sur des découvertes archéologiques provenant de trois endroits différents qui portent le même nom: Sem à Hokksund, Sem à Tønsberg et Sem à Nøtterøy", a déclaré Birgit Maixner, qui est professeure agrégée au Département d'Archéologie du Muséum.

De Sæheimr à Sem

Norvège - Artefacts découverts par des détectoristes provenant de 3 endroits avec le même toponyme, Sem - Photo: Birgit Maixner / Musée d'Histoire culturelle de l'Université d'OsloSem est un nom dérivé de l'ancien toponyme nordique Sæheimr. Des variantes de ce nom de lieu traditionnel peuvent être trouvées dans toute la Scandinavie d'aujourd'hui: Særheim, Sæheim, Säm, Semb, Sem, Seim, Seime, Seem, Siem, Siim, Sim, Seam et Säm sont tous des noms dérivés de Sæheimr.

Traditionnellement, ces noms ont été interprétés comme signifiant simplement "colonisation par la mer"sæ ("mer") + -heim ("maison"). 

Cependant, lorsque Maixner a examiné les découvertes des détectoristes provenant de trois endroits différents appelés Sem, il lui est apparu évident que le toponyme recouvrait bien plus qu'une simple description géographique du paysage. "Ce n'étaient pas seulement les noms qui étaient similaires, les découvertes des détectoristes étaient également du même type. Tous ces sites ont donné lieu à des découvertes qui indiquent du commerce et de la production, comme par exemple des pièces de monnaie, des poids et des déchets de production", a expliqué Maixner.

"Tout à coup, il m'est venu à l'esprit que 'Sæheimr' était peut-être un toponyme stéréotypé faisant référence aux places commerciales maritimes de l'Âge du Fer. Après cela, il me restait juste à faire un énorme travail pour prouver que ma théorie tenait la route", a-t-elle précisé.

 

54 toponymes à proximité des centres de pouvoir

Les linguistes pensent que les toponymes se terminant par -heim ou -hem sont parmi les plus anciens de Scandinavie et datent principalement de l'Âge du Fer romain (environ l'an 1 au Vème siècle de notre ère) et de la période de migration (environ 400-550 de notre ère).

Les historiens savent que le nom Sæheimr est lié à des centres de pouvoir. Les sagas parlent de deux résidences royales norvégiennes du nom de Sæheimr. L'une se trouvait à Alver dans l'ouest de la Norvège - à l'endroit connu aujourd'hui sous le nom de Seim - et l'autre à Sem près de Tønsberg, dans l'est de la Norvège. "Pourtant, personne n'avait fait une recherche plus détaillée des lieux avec des noms dérivés de 'Sæheimr' pour voir si le nom avait un sens au-delà de la géographie", a souligné Maixner.

Pour tester sa théorie, la chercheuse a relevé toutes les variantes de Sæheimr à travers l'ensemble de la Scandinavie. Elle a trouvé 54 noms au total - de Ribe dans le sud du Danemark à Grong dans le centre de la Norvège. C'est d'ailleurs en Norvège que le nom est le plus répandu, et tous les noms dérivés - sauf un - sont encore utilisés de nos jours.

Maixner a ensuite vérifié s'il existait du matériel archéologique répertorié découvert dans ces lieux. "J'ai découvert que de nombreux sites appelés 'Sæheimr' étaient situés à proximité de lieux-clés bien connus de l'Âge du Fer, ou de centres avec des fonctions politiques, administratives et religieuses", a-t-elle confirmé.

 

Une topographie identique

La surrection [ou soulèvement tectonique] et l'impact humain ont beaucoup changé la physionomie de la Scandinavie au cours des 2000 dernières années. Cependant, lorsque Maixner a pris en compte ces changements, elle a découvert que les 54 sites à la toponymie identique avaient autrefois une topographie étonnamment similaire.

"Aucun des lieux n'est situé sur le littoral. Bien au contraire, ils se trouvent retranchés à l'abri près de réseaux fluviaux de grande importance stratégique, souvent sur une colline ou à l'exutoire d'un lac. Si le nom avait simplement fait référence à un établissement arbitraire par n'importe quelle mer, je me serais attendue à ce que l'utilisation du toponyme soit plus répandue, avec une plus grande variation géographique", a expliqué Maixner.

D'après elle, ces données topgraphiques viennent confirmer sa théorie: "Tout porte à croire que 'Sæheimr' est un concept pan-scandinave spécifique qui fait référence à une place commerciale accessible par bateau. La distance entre un site  du nom de Sæheimr et son centre supposé est généralement de 1 à 5 km. Le besoin de protection était grand à l'Âge du fer, c'est pourquoi le centre était généralement situé dans une position protégée dans l'arrière-pays."

"Nous savons qu'il existe de nombreux points communs dans toute la société scandinave, par exemple la religion et la culture matérielle. Pourtant, compte tenu des distances, il est particulièrement fascinant de constater que les gens de toute la Scandinavie ont donné le même nom aux débarcadères avec une fonction marchande, sur la base d'un ensemble de critères. Selon toute vraissemblance, c'était un concept largement répandu. Cela montre que la communication à travers la Scandinavie fonctionnait bien, même dans une société qui, pour la majeure partie, ne couchait rien par écrit", a-t-elle encore ajouté.

 

"Les toponymes sont comme des fossiles"

Le matériel archéologique examiné par Maixner suggère que le toponyme Sæheimr est apparu au début de l'Âge du Fer, ce qui correspond à la datation donnée  par les linguistes. Il ne semble pas que de nouveaux Sæheimr aient émergé après cette période. Pourtant, plusieurs endroits ont néanmoins conservé leur fonction de site marchand tout au long de l'Âge Viking et même en partie au début du Moyen Âge.

"Cette datation est extrêmement exaltante car il y a quelques années à peine, nous ne connaissions quasiment pas de lieux de commerce remontant au début de l'Âge du Fer en Norvège. Des noms comme Kaupang, Lahelle et Laberg sont utilisés en association avec des places marchandes de l'Âge Viking et du Moyen Âge, mais de telles informations nous manquaient pour les périodes antérieures. Cela signifie que la toponymie peut être un outil important pour l'Archéologie", a confié la chercheuse.

Cette dernière aimerait à présent pouvoir tester sa théorie en menant des investigations archéologiques: "Nous avons plusieurs candidats prometteurs dans le centre de la Norvège que j'aimerais examiner de plus près. Il est facile d’imaginer que Sem dans la municipalité de Verdal et Sem près du Leksdalsvatnet [un lac du comté de Trøndelag], par exemple, auraient pu être des lieux commerciaux associés à la riche société de l’Âge du Fer qui existait autrefois dans cette région."

Cela démontre également, selon elle, qu'il existe un grand potentiel inexploité de recherche interdisciplinaire entre l'Archéologie, la Linguistique et la toponymie. "Malheureusement, il y a eu une baisse spectaculaire ces dernières années du nombre d'études toponymiques dans le milieu universitaire, et il ne reste aujourd'hui que quelques chercheurs dans ce domaine en Norvège. C'est dommage quand vous voyez la quantité d'informations que contiennent les toponymes. À bien des égards, ils sont comme des fossiles dans le paysage. Ils nous racontent des histoires sur le passé - si nous savons comment les interpréter", a conclu Maixner. 

 

Des résultats convaincants

Peder Gammeltoft est bibliothécaire en chef et directeur scientifique des collections de langues norvégiennes à l'Université de Bergen. D'après lui, "ce que Maixner a fait ici est intéressant. Elle a étudié s'il était possible de trouver des caractéristiques archéologiques communes derrière la création de noms de lieux. Cela n'a jamais été fait de cette façon auparavant, et les résultats sont assez surprenants.

Le bibliothécaire a lui ausi étudié les toponymes des colonies vikings. "L'utilisation du nom 'Sæheimr' peut apparemment être reliée à un centre de pouvoir, sans que le nom lui-même fasse référence au pouvoir, à la hiérarchie ou autre", a-t-il reconnu. 

Cela signifie d'après lui que Birgit Maixner a trouvé des preuves que certaines fonctions sociales dans la société de l'Âge du Fer ont été nommées sur la base d'un modèle non explicite, plutôt que désignées en faisant directement référence à la fonction du site. "C'est vraiment passionnant. Néanmoins, nous devons être conscients qu'il s'agit d'une reconstruction théorique du passé. Nous ne pouvons pas être entièrement sûrs qu'il s'agissait exactement de cela, mais les résultats obtenus semblent convaincants."

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