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Norvège - Une singulière tombe à chambre de l'Âge Viking découverte dans le centre du pays

Les archéologues ont découvert une tombe de l'Âge Viking, isolée en pleine campagne dans le centre de la Norvège, qui sort de l'ordinaire. Placée dans une chambre funéraire, la défunte a emporté plusieurs centaines de perles miniatures avec elle pour son dernier voyage. Mais qui était-elle?

Après plusieurs semaines de travail minutieux sur le terrain à Hestnes, dans le sud du Trøndelag, les archéologues ne pouvaient se vanter que d'avoir trouvé des trous de poteaux et des fosses de cuisson. Aussi, lorsque les traces d'une construction rectangulaire sont apparues, le responsable des fouilles, Eystein Østmoe, a d'abord pensé qu'ils étaient tombés sur un vestige beaucoup plus récent et en somme, guère plus passionnant. 

C'est en voyant la couche de terre noire et grasse qu'il a changé d'avis car, le plus souvent, cela correspond aux traces laissées par un corps humain reposant dans le sol après plus de 1000 ans. "Cela a été une grosse surprise. Il n'y avait pas d'autres tombes à proximité",  a confié Østmoe. Une surprise d'autant plus grande que la tombe s'avère être un genre de sépulture rarissime là où elle est située.

 

Une chambre funéraire surtout prisée des citadins

Norvège - Fouilles de la tombe à chambre d'une femme de l'Âge Viking à Hestnes - Photo:  Eystein Østmoe / NTNU VItenskapsmuseetLes fouilles ont fini par révéler les vestiges d’une construction rectangulaire de ce qui fut à l'origine une chambre funéraire, mesurant environ 1,7x1 mètre. Les archéologues nomment ce type de sépulture une tombe à chambre. "C'est un type de tombe inhabituel, car il n'en existe pratiquement pas dans cette région du pays", a souligné l'archéologue et chef de projet Raymond Sauvage.

La chambre, construite en bois, s'élève au-dessus d'un trou dans le sol. Une fois le défunt déposé à l’intérieur, une toiture était placée par-dessus. Celle-ci a été datée entre 850 et 950 de notre ère environ. Après plus de 1000 ans dans la terre, il ne restait que très peu de vestige de la chambre elle-même.

"Nous avons trouvé l'empreinte de 4 poteaux qui se trouvaient à chaque coin, et certaines parties des murs. Nous sommes certains qu’il s’agit d’une tombe à chambre d’après la technique de construction employée et sa taille", a annoncé l’archéologue avant de poursuivre: "C'est un type de sépulture qui est principalement répandu à Birka en Suède et dans les anciennes régions danoises telles que la Scanie, dans le sud-est de la Norvège et à Hedeby dans l'actuelle Allemagne."

D’après les découvertes archéologiques, les tombes à chambre semblent avoir été populaires surtout en milieu citadin. Leur concentration est particulièrement importante aux alentours des premiers centres urbains tels que Birka, Hedeby, Kaupang et Skiringssal. "Bien sûr, il est possible d'en trouver sur la côte ici ou là, mais à titre de comparaison, ce sont plusieurs centaines d'entre elles qui ont été mises au jour à Birka", a précisé Raymond Sauvage.

 

Des objets funéraires peu communs

Outre la chambre funéraire plutôt typique des zones urbaines, les objets déposés dans la tombe sont également peu communs pour la région. Ils indiquent notamment que le défunt est une femme. "La femme a été enterrée avec une broche à trois lobes, utilisée pour fermer le 'serk' [i.e la sous-robe] au niveau du cou. Ce type de broches était à l'origine fabriqué à partir de bouterolles de fourreaux d'épées carolingiennes, transformées en bijoux dans les pays nordiques. Ces bouterolles détournées de leur usage premier furent par la suite imitées et des variantes scandinaves à part entière furent fabriquées", a expliqué Sauvage. 

"La broche découverte à Hestnes est d'un type assez rare en Norvège" a-t-il ajouté. "Toutefois, elle est typique des anciennes cités danoises. Elle a probablement été produite là-bas, peut-être à Hedeby. En Norvège, de telles broches se trouvent généralement dans les zones qui étaient auparavant danoises - c'est-à-dire généralement dans le comté de Viken."

Mais ce n'est pas tout. De grandes quantités de perles miniatures vertes et violettes ont également été mises au jour. Les archéologues en ont dénombré 339. Elles sont si minuscules - entre 1 et 2 millimètres d’épaisseur- qu’il a fallu acheter de fines moustiquaires pour tamiser la terre et ne pas risquer d’en égarer une seule.

D'après Raymond Sauvage, il est très rare de trouver de telles perles: "Quelques unes de ce genre ont été découvertes à Isfjorden, un village de la municipalité de Rauma, et d'autres assez semblables dans une tombe à SteigenIci, les perles étaient concentrées au niveau de l'épaule droite, mais on ne sait pas s'il s'agissait à l’origine d'un collier ou bien d’autre chose. Une découverte similaire de perles miniatures à Hedeby a été interprétée comme résultant d'une broderie sur un vêtement ou autre, ce qui pourrait très bien être le cas ici."

 

Un mariage arrangé?

Le matériel funéraire a aidé les archéologues à mieux cerner l'identité de cette femme qui a bénéficié d'une tombe très citadine au fin fond de la campagne du centre de la Norvège.

"En archéologie, il est courant de penser que les artefacts dans les tombes disent quelque chose du statut et de l'identité des défunts. Tout indique que cette femme vient du sud-est de la Scandinavie et qu'elle a été enterrée selon sa propre culture", a révélé Sauvage.

Néanmoins, le chef de projet ne peut que spéculer sur la façon dont elle est arrivée ici. Il est possible qu'elle soit venue à Hestnes dans le cadre d'un mariage arrangé. "Voyager loin et construire de vastes réseaux sur de longues distances est typique de l'Âge Viking. Les alliances et les amitiés étaient le principal ciment social de la société à cette époque. C'est grâce à cela qu'un individu montait dans l'échelle sociale et acquérait un pouvoir politique dans une région. Dans ce système, le mariage était un moyen de créer une alliance entre deux familles."

 

De l'os et des dents dans une paire de broches tortues

Une telle distance à parcourir pour un mariage pourrait paraître rédhibitoire à l'Âge Viking. Pourtant, c'était loin d'être le cas. "De nos jours, nous sommes habitués à voyager sur de longues distances en avion, et nous sommes donc enclins à penser que pour les gens, il y a plus de 1000 ans, voyager à travers le monde devait être long et plutôt fastidieux. Mais, après tout, l'Angleterre n'était qu'à une semaine de voyage en bateau", a rappelé Sauvage. "Voyager en Europe était tout à fait normal, et faire un voyage au Danemark en langskip était probablement assez courant."

Une paire de broches dites "tortues", qui a également été mise au jour dans la tombe, pourrait permettre aux chercheurs de faire toute la lumière sur les origines de la défunte. Ces fibules, qui servaient à maintenir le 'smokkr' [i.e la robe-tablier] par-dessus la robe, étaient courantes dans tous les pays nordiques à cette époque.

Bien que cette découverte semble plus ordinaire que les précédentes, des restes d'os et de dents ont été retrouvés à l'intérieur de la partie bombée des broches lors de leur nettoyage. "Si ce matériel est suffisamment bien conservé, nous pourrons, espérons-le, faire des analyses qui pourront révéler d'où vient la femme. C'est absolument passionnant!", a conclu l'archéologue.

01.05.2021 - D'exceptionnelles pièces de différents tissus de l'Âge Viking dans la tombe de Hestnes

La singulière tombe de Hestnes, quelque part au fin fond de la campagne norvégienne, n'en finit pas de livrer des trésors d'informations. Plusieurs morceaux de tissus découverts lors des fouilles en 2020 font actuellement l'objet d'analyses qui lèvent le voile sur la tenue, le rôle et le statut social de cette femme de l'Âge Viking. 

Ce qui n'est rien de plus qu'une petite masse brune et terne pour un œil non averti, s'est révélé au microscope être une broche dite 'tortue' recouverte d'un morceau de tissu de laine brodé vieux de plus de 1000 ans. "Trouver du tissu brodé de l'Âge Viking est quelque chose de si unique que cette découverte est à peine croyable", a déclaré Ruth Iren Øien, archéologue au NTNU Science Museum.

Autrement dit, il s'agit d'un véritable trésor pour les spécialistes du sujet. "Nous qui travaillons sur les textiles, nous nous estimons heureux si nous disposons d'un bout de tissu d'un centimètre de large. Ici, nous avons près de 11 centimètres de restes textiles. Quand on trouve aussi de la broderie, c'est tout à fait exceptionnel", a-t-elle souligné en illustrant son propos: "Les textiles brodés de l'Âge Viking sont quelque chose que nous ne connaissons qu'à partir de quelques riches tombes, comme celles d'Oseberg ou au Danemark celle de Mammen".

 

Huit tissus différents

Norvège - L'un des morceaux de tissu découvert dans la tombe d'une femme à Hestnes datée entre 850 et 950 - Photo: Åge Hojem/ NTNULes archéologues pensent avoir identifié parmi les artefacts de la tombe les restes de 8 textiles différents: 6 en laine et 2 en lin. Tous sont d'une qualité, d'une structure et d'une apparence différentes.

De nos jours, les gens jettent des vêtements et en achètent de nouveaux sans y penser, mais il en allait tout autrement à l'époque des Vikings. "Fabriquer suffisamment de tissu pour vêtir une famille pendant un an nécessitait le travail à temps complet d'une personne pendant un an. Il n'était donc pas courant à l'époque de se procurer chaque année de nouveaux vêtements, et beaucoup d'entre eux faisaient l'objet d'une transmission", a expliqué l'archéologue.

Pour fabriquer la voile d'un bateau à l'Âge Viking, indique-t-elle à titre d'exemple, il fallait tondre la laine de 2000 moutons. En tenant compte à la fois des heures de travail et des matières premières, les chercheurs estiment qu'une voile de l'époque coûterait de nos jours entre 15 et 20 millions de NOK [soit un peu plus de 2 millions d'euros]

En d'autres termes, cela signifie qu'en emportant avec elle autant de tissus dans sa tombe, la défunte a été enterrée avec des biens d'une grande valeur. "J'aurais tendance à penser que les textiles dans la tombe avaient une valeur tout aussi grande - si ce n'est plus - que les objets", a confié Øien. De nombreux outils pour travailler les fibres tels que des peignes à laine ont aussi été découverts parmi les offrandes funéraires, ce qui suggère que cette femme pourrait avoir travaillé dans la fabrication de textiles.

 

Un rare aperçu de la tenue de la défunte

Il est très rare de trouver autant de tissus bien conservés dans une sépulture de l'Âge Viking. À plusieurs endroits ils sont même superposés, comme au niveau de l'ardillon des broches, ce qui correspond sans doute à plusieurs couches de vêtements d'intérieur et d'extérieur. En outre, certains morceaux de ces tissus revèlent des informations sur la confection et autres menus détails sur leur apparence.

Tout cela donne à l'archéologue un rare aperçu de la tenue de la femme: "Nous supposons que la femme portait une robe-tablier qui était fermée avec des broches tortues. Sous la robe-tablier, elle était probablement vêtue d'un serk, soit une chemise de lin ou de laine fine. Autour des épaules, elle avait probablement un manteau comportant des éléments décoratifs brodés."

"Le manteau semble avoir été doublé d'un tissu de laine fine et en bordure les vestiges d'un fin galon tressé a été décelé. Ce ruban servait peut-être à renforcer le bord, mais avait également une fonction décorative." Le tissu de laine est du type dit 'sergé de diamant', avec un motif qui rappelle ce que l'on trouve sur les jeans. Les fibres de ce morceau de tissu se sont particulièrement bien conservées. 

 

Des couleurs délicates à identifier

Les chercheurs vont également examiner de plus près les couleurs de ces vestiges de vêtements. "Au microscope, nous pouvons voir que certains des fils de la broderie ont une pigmentation différente de celle du tissu en-dessous. Cela peut être dû au fait que les types de fibres utilisés dans les fils de broderie et les fibres du tissu ont été différemment affectés par le temps passé dans le sol. Nous espérons que d'autres analyses apporteront des réponses sur ce point", a avancé Øien.

Il est très difficile d'analyser les couleurs des textiles de cette époque, précise-t-elle, car il s'agit de couleurs végétales sans utilisation de produits chimiques. Les couleurs ont été délavées dans le sol pendant 1100 ans. "Certaines sont plus faciles à identifier que d'autres, par exemple le carmin d'indigo, qui donne une couleur bleue."

Malgré tout, la spécialiste reste confiante sur leur capacité à déterminer d'où vient la laine d'au moins un des textiles, celui si bien conservé que les archéologues espèrent pouvoir faire une analyse isotopique des fibres. Grâce aux isotopes présents dans ce tissu, ils pourront savoir si la laine qui le compose provient de moutons locaux, ou s'il a été importé.

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