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Suède - Du jardin à la tombe, les fleurs pourraient décliner l'Âge Viking en technicolor

Lorsqu'un spécialiste en matière de plantes anciennes suit les archéologues sur le terrain, ils trouvent de beaux jardins et des tombes fleuries spectaculaires. C'est ainsi que la sépulture d'une femme de l'Âge du Fer enterrée sur un lit de fleurs jaunes a été découverte à Bådstorp, l'automne dernier. Un plaidoyer en faveur de l'archéobotanique, capable de rendre au passé et, en particulier à l'Âge Viking, ses couleurs. 

La tombe aux fleurs se situe à Bådstorp, au pied du massif de Kolmården et juste à côté de la baie de Bråviken. C'est l'une des quelque 150 tombes qui composent le plus grand cimetière connu de l'Östergötland, utilisé au cours de l'Âge du Fer ancien et de l'Âge de Vendel, jusqu'à la fin de l'Âge Viking. Les fouilles se sont achevées en ce début d'année, pour faire place à une piste de ski de fond rejoignant l'Ostlänk.

Jens Heimdahl, archéobotaniste au Musée d'Histoire de Stockholm, a immédiatement pensé que cette tombe de l'Âge du Fer était singulière lorsque les archéologues ont découvert une grande quantité de petites graines calcinées. Il a pu établir que ces dernières provenaient de l'iris des marais (Iris pseudacorus), une espèce commune dans les zones humides du pays. "Il ne s'agit pas vraiment de n'importe quelle fleur. Elle pousse dans les prairies humides et est l'une des plus belles fleurs sauvages que nous ayons", a-t-il déclaré.

Cette découverte permet de visualiser l'esthétisme de la cérémonie funéraire organisée pour la défunte, qui reposait littéralement sur un parterre de fleurs avant que le feu n'embrase sa sépulture. La fosse contenait également de la paille carbonisée, des graines et du pollen, des renoncules âcres mieux connues sous le nom de boutons d'or, et d'autres types de plantes.

 

Des fleurs, un cheval, un mouton, un chien et des oiseaux 

Suède - La tombe d'une défunte reposant sur un lit d'iris des marais à Bådstorp - Photo: ArkeologernaLa tombe comportait un petit toit recouvert en surface par de nombreuses pierres remarquables par leur dimension. De la défunte, il ne subsiste que les membres inférieures du squelette brûlés. La femme d'âge moyen, voire avancé, mesurait 1,50 mètre. Avec elle, ont été enterrés un cheval, un mouton ou une chèvre, deux oiseaux et un chien. Et ce lit d'herbes jaunes qui devait être spectaculaire.

Il y a peut-être aussi eu des fleurs d'autres couleurs, mais les résultats des analyses ne seront pas connus avant la fin de l'année. Les fleurs peuvent avoir eu une fonction symbolique, ou simplement mises là "pour faire beau".

Jusqu'à présent, de telles quantités de matériel végétal dans des tombes n'ont été trouvées qu'à de rares occasions, à l'instar des restes d'une couche de 5 centimètres d'épaisseur constituée de roseaux à massette (typha latifolia) recouvrant le défunt du bateau-tombe de Vendel, dans la province de l'Uppland, des feuilles de fougère aigle découvertes dans une sépulture à Äggelunda, au nord de Stockholm en 2013, et des grandes quantités d'anémones sylvie, ou anémones des bois, sous forme de pollen, dans une tombe à Hamneda dans le Småland en 2003.

 

L'archéobotanique a le vent en poupe

Il se peut que les décorations végétales aient été une pratique courante dans les rites funéraires des temps anciens, mais que les archéologues soient passés à côté de des traces qu'elles ont laissées dans les tombes. À Bådstorp, cependant, Jens Heimdahl était sur place depuis le début des investigations. "Nous avions déjà décidé avant la fouille que nous allions mener des recherches en archéobotanique et nous avons collecté une grande quantité de matériel", a-t-il confirmé.

Il y a 10 ou 15 ans, il était inhabituel pour des archéobotanistes de se rendre sur le terrain. Ils n'étaient appelés que lorsque les fouilles étaient terminées afin de procéder aux analyses en laboratoire. Autrement dit, si et seulement si des échantillons avaient été prélevés par les archéologues et que de l'argent avait été alloué pour mener à bien ces analyses. Les graines et les céréales étaient donc rarement prélevées, sans parler du pollen.

Aujourd'hui, l'archéobotanique joue un rôle de plus en plus important, jusque dans les tranchées. En étant présent lors de la fouille, ces experts peuvent étudier ce que les archéologues mettent au jour et déterminer eux-mêmes le matériel végétal digne d'intérêt. De nombreux échantillons peuvent ainsi rapidement leur indiquer où chercher davantage. Et une fois la fouille archéologique terminée, tous les prélèvement partent en laboratoire pour une étude approfondie.

Les analyses sur le terrain comme en laboratoire se font d'ailleurs à peu près de la même manière et avec le même équipement: les graines, le pollen et les autres parties d'une plante sont identifiés grâce au microscope. En cas de doute, ils peuvent être comparés avec du matériel de référence préalablement classé par espèce, ou recherchés dans des ouvrages et autres publications.

 

L'art très ancien de cultiver son jardin

Jens Heimdahl étudie principalement l'Archéologie et l'Histoire du jardin. Jusqu'à présent, tout le monde s'accordait à dire que les cultures relevaient principalement d'une question de survie et de rendement. La beauté des plantes ne serait rentrée en ligne de compte qu'avec la conversion au christianisme, riche d'un langage floral symbolique. En conséquence, les chercheurs estimaient que les jardins étaient inexistants en Suède avant la création des monastères. 

Mais d'après Jens Heimdahl, qui participe actuellement à la rédaction d'un livre faisant état des nouvelles recherches sur l'histoire de l'horticulture suédoise, ces croyances sont démenties par les récentes découvertes archéobotaniques. Ces dernières indiquent que de nombreuses plantes de jardin sont arrivées dans les pays nordiques dès l'Âge du Fer romain, au cours des 400 premières années de notre ère et lors d'une deuxième vague au cours de l'Âge Viking, aux IXème et Xème siècles. 

Si les chercheurs entendent par horticulture une culture intensive à petite échelle, alors la première forme d'agriculture, arrivée dans les pays nordiques il y a 6000 ans, était déjà une forme d'horticulture, fait valoir Jens Heimdahl en extrapolant son propos. Les premières traces d'horticulture sont rares dans les campagnes, où la matière organique comme celle des plantes s'est rapidement décomposée. Mais dans les villes, les vieux jardins ont été creusés dans un sol plus propice à la conservation du matériel végétal.

 

Les cultures affectées par des éruptions volcaniques

L'Archéologie climatique est un autre domaine de recherche en pleine croissance très utile pour les archéobotanistes, car elle étudie la façon dont le climat a affecté ce qui était cultivé. Ils peuvent ainsi analyser les échantillons de sol et le matériel végétal provenant de fours et de sites de cuisson, au-delà de ce qui sert plus traditionnellement à explorer en Archéologie les habitudes alimentaires et les façons de cuisiner d'autrefois. 

Avec ses collègues, Mikael Larsson, archéobotaniste à l'Université de Lund, a commencé à étudier la façon dont les cultures dans le sud de la Suède et au Danemark ont été affectées par deux éruptions volcaniques qui ont bouleversé le climat de la terre entière dans les années 530. [Lire à ce sujet sur Idavoll: Science - Le fimbulvetr, le long et rude hiver de la mythologie nordique, n'est pas une affabulation]

Les isotopes de l'azote permettent de mesurer la fertilité d'un sol et la quantité d'engrais nécessaire. Les isotopes du strontium ont montré ce que les habitants de ces régions n'étaient plus en capacité de produire eux-mêmes, et ce qu'ils devaient donc obtenir par le biais du commerce. Une autre conséquence de cette crise climatique fut également le remplacement de certaines cultures, a expliqué Larsson: "Nous savons déjà que l'épeautre, qui avait été auparavant supprimé, a été réintroduit. Il ne nécessitait pas beaucoup d'engrais".

 

Une inscription runique pour le mot 'oignon'

Si les archéologues n'ont pas découvert beaucoup de matériel végétal lors de leurs investigations par le passé, c'est en partie parce qu'ils n'étaient pas en mesure de chercher ni d'identifier des choses qu'ils ne connaissaient pas. Il n'en reste pas moins que, tout au long de l'Histoire, les plantes ont probablement été appréciées pour leur beauté autant qu'elles le sont de nos jours. 

Le mot "oignon" est l'un des premiers mots ayant trait aux végétaux trouvé dans une inscription runique sur un bijou en or. Et dans la Völsunga saga, la femme de Sigurd, Gudrún, le décrit comme "un oignon-lance parmi les oignons". Certains ont suggéré que «oignon-lance» [spjutlök: spjut signifiant 'lance' et lök 'oignon'] devait être une ancienne figure de style -appelé  'kenning' dans la poésie scandinave- pour évoquer le lys des marais [svärdsliljasvärd signifiant 'épée' et lilja 'lys' ], mais Jens Heimdahl se montrait plutôt sceptique. 

Selon lui, rien ne permettait de penser que cette plante faisait partie des cultures de la fin de l'Âge du Fer, du moins jusqu'à ce qu'il trouve ces graines d'iris des marais à Bådstorp:  "L'interprétation n'est encore que spéculative, mais après ces découvertes, elle paraît tout de même raisonnable."

 

L'archéobotanique donne des couleurs au passé

La vie des temps anciens était souvent décrite comme dure et austère, de sorte que les découvertes de graines ou de tout autre matériel végétal ont été strictement interprétées comme étant des traces de nourriture ou de rituels. 

Il semblerait désormais que ce passé ait été plus nuancé et que les gens appréciaient également pour elle-même la beauté de la flore. En cela, l'archéobotanique a contribué à changer les regards, estime Jens Heimdahl.

"Beaucoup de choses ont été tenues pour acquises, bien qu'il n'y ait aucune preuve ni source. Nous avons maintenant des méthodes d'investigation et des techniques d'analyse afin de pouvoir extraire cette source de matériel. Je pense que nous verrons de nouvelles choses. L'ancienne horticulture a commencé à refaire surface en couleur", a-t-il conclu.

  • Source: www.fof.se (traduction et réécriture Kernelyd)

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