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Joëlle DELACROIX - Romancière

Docteur en informatique, enseignant chercheur, Joëlle Delacroix travaille au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) à Paris depuis 1994. Elle y enseigne l'architecture des machines et les principes des systèmes informatiques, notamment Linux. Son domaine de recherche est plus particulièrement lié aux systèmes informatiques en temps réel. Cette partie de ses activités est à l'origine des livres "Architecture des Machines et des Systèmes informatiques" ainsi que "Linux: Programmation Systèmes et Réseaux"…

Stop !

Mais quel rapport, me direz-vous, avec les Vikings? Eh bien, Joëlle Delacroix est aussi l'auteure d'un roman en deux tomes, "Le siège de Paris par les Vikings", préfacé de Jean Renaud, paru aux éditions de l’Harmattan. 

 

  • Comment est née votre passion pour l’Histoire du Haut Moyen-Age Franc et l’épopée des Vikings ?

France - Joelle delacroix en dédicaceJe vais commencer par vous répondre que toute petite déjà, j’adorais les histoires de princesses et de chevaliers ; j’ai dévoré des histoires comme Ivanoé et Robin des Bois, adoré des feuilletons comme Thierry la Fronde.

Un été, j’ai dévoré une biographie de Louis XI et j’ai durant plusieurs années, lu et étudié beaucoup de textes et d’ouvrages sur la guerre de Cent Ans… Elle prend ses racines quelque part aussi dans la victoire et le couronnement de Guillaume le Conquérant… Et là encore et toujours, il y a de belles dames avec de grandes robes et de puissants chevaliers…

Alors qui sont ces fiers Normands et d’où viennent-ils ? Je pense que c’est ainsi que j’y suis arrivé. Parallèlement, j’ai lu Grégoire de Tours… Et je me suis trouvée captivée par cette période qui englobe les Mérovingiens et les Carolingiens coté Franc, et les "Vikings" côté Nordique.

Je trouve que c’est une période fascinante. Elle est totalement méconnue. On en parle à peine à l’école. C’est, il est vrai, sans doute une période barbare, mais c’est aussi la transition entre la culture gallo-romaine et la culture du Moyen-âge et c’est ce qui en fait sa richesse.

Pour ce qui est des Vikings, j’ai découvert au travers notamment des ouvrages de Régis Boyer et Jean Renaud, une civilisation extrêmement intéressante et originale. Bien loin du stéréotype de brute épaisse buvant dans le crâne de son ennemi, le Viking est avant tout un commerçant, un commerçant très avisé qui usera de son épée seulement si elle lui permet d’amasser plus facilement des richesses que le commerce disons légal. C’est un homme plutôt tolérant, qui se fond facilement dans le lieu où il s’établit, en adopte les dieux et les coutumes. Il n’est nulle question de prosélytisme dans ses attaques, simplement de pillage et de butin… Si les annales notamment carolingiennes peuvent les présenter comme des ennemis de Dieu, c’est avant tout parce que les églises et les monastères, gorgés de richesses, étaient leurs cibles privilégiées. Mais il n’était nullement question de guerre religieuse… Songez-y, ce sont des aventuriers : ils se sont installés en Normandie, se sont faits chrétiens et le duc de Normandie était l’un des plus grands seigneurs déjà sous Robert le Pieux, fils de Hugues Capet. Ils se sont établis en Angleterre ; en Russie, ils ont posé les fondements de l’aristocratie et ils se sont introduits dans la garde de l’empereur byzantin. Ils ont même accosté au Canada ; ils ont colonisé l’Islande, le Groenland. Plus tard, leurs descendants ont fondé le royaume de Sicile.

Et puis, ce sont des hommes et des femmes dont la mentalité est extrêmement intéressante : son destin est tracé, le Viking le sait, à lui de l’assumer et de l’accepter au mieux. C’est la sagesse même.

Les textes mythologiques par ailleurs et tout le panthéon nordique sont aussi savoureux : des nains, des géants, des serpents et loups monstrueux…  Et quel personnage que cet Odin ! Un magicien borgne et rusé… un dieu avec tous les travers d’un humain… Et Loki (c’est mon préféré), qui est tout à la fois homme et femme, père-mère d’un cheval, d’un loup et d’un serpent… Il y a tant de merveilleux ! Tant de matière au rêve… C’est important cette dimension à mes yeux, dans ce monde réel que la technologie et l’avancée des sciences rendent un peu sec et froid. Et dramatique aussi… Puisque tous ces dieux savent qu’ils avancent vers une fin inéluctable, qui les anéantira tous. Ah oui, j’adore Wagner aussi, et tout cela se rejoint… la Tétralogie bien sûr, mais d’autres opéras aussi : Lohengrin notamment. Je l’ai vu étant petite à la télé ; ce chevalier au cygne m’a fasciné ; je le suis encore.

 

  • Votre roman est consacré au siège de Paris par les Vikings. Qu’est-ce qui a motivé votre choix pour cet événement en particulier ?

Le Siège de Paris par les Vikings, Tome 1 : Les Vikings sur la SeineQui a entendu parler du siège de Paris par les Vikings en 885 ? Pas foule sans doute. J’ai été désolée de voir que dans le livre de 5ème de ma fille, l’époque des assauts viking tient en une ligne… Mérovingiens et Carolingiens ont droit à un paragraphe de dix lignes dans lequel Charlemagne tient la plus grande place.

Je n’écris pas seulement pour raconter une histoire. J’écris aussi pour faire découvrir des éléments, des faits qui ne sont pas connus, des personnages inconnus, oubliés… Là, c’est peut-être le côté enseignant/chercheur qui resurgit…

Alors pourquoi cet événement en particulier : le hasard des lectures peut-être, notamment celle du texte du moine Abbon. Cet écrit est en soi une épopée… Il y a toute la matière à un roman, des combats, des personnages hauts en couleur, etc. Certainement le fait aussi que le courage du comte Eudes joue un rôle quelque part dans l’accession au trône du duc Hugues Capet…

 

  • Écrit-on un roman historique comme l’on rédige un ouvrage en informatique ? Quelle a été votre approche, dans l’écriture, entre la part de fiction et la réalité historique ?

On écrit l’un et l’autre parce qu’on aime écrire. Ecrire est un besoin qui me taraude depuis la petite enfance… J’ai toujours écrit des histoires.

Maintenant, un ouvrage de cours en informatique laisse peu de place à la fantaisie… à la différence d’un roman…

Cependant, ces deux types d’écrits se rejoignent dans mon esprit dans la mesure où quand j’écris une histoire, je ne le fais pas seulement pour raconter une histoire. Au-delà de la fiction, je veux apprendre à ceux qui me lisent des faits historiques, des faits de civilisation : voilà comment s’est déroulé le siège de Paris en 885, et voilà comment vivaient les hommes et femmes de cette époque, voilà ce qu’ils croyaient, voilà de quoi ils avaient peur, voilà comment ils s’amusaient.

Il existe plein de romans historiques, à commencer par toutes ces fictions avec des détectives qui évoluent dans le passé : on n’y apprend presque rien sur la vie dans ces époques si ce n’est au travers de stéréotypes… C’est décevant. A quoi bon placer le détective à l’époque de la chine impériale ou de l’Angleterre celte si ce n’est pour exploiter au mieux le contexte ? Autant le mettre au 20e siècle où il pourra utiliser toutes les techniques modernes d’investigation.

 

  • Porgils, le personnage central de l’histoire, est "un jeune danois fait prisonnier qui choisit  de se convertir et devient membre de l’entourage du comte de Paris". Il est un pivot ingénieux dans le récit par le biais duquel le lecteur, à mon sens, échappe à un parti pris pour mieux saisir les enjeux côté Francs comme côté Vikings. Il incarne aussi ce qu’on appelle aujourd’hui "le choc des cultures". Pouvez-vous nous parler de votre (vos) source(s) d’inspiration pour ce protagoniste fictif, mais essentiel ?

La fiction dans ce roman passe principalement par deux personnages : Porgils et Gisèle. Une fois digérés les écrits d’Abbon et les Annales de l’époque, force est de constater que pour en faire un roman, il faut « broder » autour, sans quoi il n’y a pas assez de matière et le résultat est assez aride.

J’ai fait d’Eudes quelque part un personnage tourmenté, hanté par la mort de son père. J’adore les personnages tourmentés par leur passé ou par un secret terrible! Eudes devait être confronté à son pire ennemi, donc un Viking, mais pas présenté sous la forme des mercenaires qui avaient tué son père, sans quoi, rien n’était possible. Porgils est un jeune homme "innocent". Il n’a rien à voir avec la mort de Robert le Fort ou presque… il a juste le défaut d’être un Viking. Ensuite, il fallait qu’Eudes soit forcé de le ménager afin d’apprendre à le connaître ; d’où sa passion pour Gisèle… Une jeune femme aussi métisse puisque son père est Viking et sa mère franque.

Pour parvenir à décrire les deux cultures en présence, il fallait qu’elles soient étroitement mêlées à l’aide de personnages qui se découvrent mutuellement.

Alors quelles sources d’inspiration? C’est difficile à définir. Il y a peut-être des éléments qui proviennent du treizième guerrier… où le personnage de Ahmed Ibn Fahdlan doit aussi découvrir et comprendre une autre société que la sienne.

 

  • Vos ouvrages proposent certes une bibliographie, mais également un lexique, des généalogies et même un plan de la cité de Paris qui viennent étayer la lecture des plus pointilleux d’entre nous. Quels sont les moyens mis en œuvre et que représente le temps consacré à vos recherches comme "à la digestion" des sources historiques?

J’ai deux bibliothèques à la maison emplie d’ouvrages et d’articles sur les Carolingiens et les Vikings (et ça déborde). J’effectue mes recherches via le web, en allant dans les bibliothèques… J’ai la chance de travailler dans un grand établissement de l’enseignement supérieur, et de pouvoir bénéficier du prêt universitaire entre bibliothèques. Lorsque je lis un ouvrage, je recherche les références des articles importants de la bibliographie… Parfois aussi, il faut oser contacter des spécialistes de ces époques…

Cette part de travail est très importante. J’y consacre beaucoup de temps. Elle fait que je suis assez lente dans mon processus d’écriture, car je ne peux commencer à rédiger un texte que quand j’ai bien assimilé le contexte historique ou ethnologique qui s’y attache.

 

  • Séries TV, films, littérature, fêtes médiévales, associations de reconstitution historique, artisanat… on assiste depuis quelques années à une popularisation non seulement du Moyen-âge, mais aussi, à une montée en puissance de l’intérêt porté à l’Âge Viking. Et ce bien que les manuels scolaires en France consacrent toujours peu de lignes à cette période de l’Histoire. Qu’est-ce qui, d’après vous, est à l’origine de cet engouement actuel pour les Vikings?

Je pense que l’engouement actuel vient justement de la découverte de ce que cette période comporte comme richesses. Longtemps, le Moyen-Age a été décrit comme une période barbare dans laquelle les hommes étaient sales, illettrés. Vivre comme au Moyen-Age, n’est-ce pas vivre comme la dernière des bêtes? Surtout pour l’époque qui nous concerne, celle du Haut Moyen-Age.

Mais non, le Moyen-Age et la période viking sont peuplés d’hommes et de femmes qui se lavent et se changent de la tête aux pieds tous les samedis ; certains savent lire et écrire et ils produisent de magnifiques ouvrages enluminés, des chants et des sagas. Ils forgent des bijoux de toute beauté. Ils voyagent. Les Vikings possèdent des navires qui sont des merveilles au niveau de la navigation.

Je crois que l’engouement pour cette période trouve aussi son origine dans la recherche des racines de chacun… dans le contexte actuel de mondialisation… et d’immigration. Mais, cela est un aspect que j’apprécie moins.

 

  • En parlant de succès, que pensez-vous de la série "Vikings" dont la dernière saison diffusée a justement traité du siège de Paris?

Je répondrais avec circonspection, car je n’ai regardé que la saison 1. C’est, je pense, une bonne série, comme les Américains savent le faire. Elle présente bien certains éléments de la vie viking ; je pense notamment à l’intégration de l’esclave dans la famille de Ragnarr, ce moine fait prisonnier lors de l’attaque du monastère de Lindisfarne.

Je suis plus circonspecte sur le personnage de son épouse, cette femme guerrière qui ne me semble pas très réaliste. Ensuite, il ne faut pas être trop à cheval sur la réalité historique… Il y a des incohérences, mais c’est aussi une œuvre de fiction, donc c’est normal. Et puis Ragnarr Lodbrok est une sorte de personnage viking de légende ! Il a tout de même emmené ses hommes jusqu’en Méditerranée…

 

  • Je crois savoir que l’écriture n’est pas la seule façon dont se manifeste votre passion pour l’Histoire. Pouvez-vous nous parler de vos autres talents ou activités?

Serpent de Midgard brodé par Joëlle DelacroixCôté écriture, je rédige de petits articles sur cette période du Haut Moyen-Âge franc et des Vikings pour le site -magazine en ligne "Histoire pour tous" car je fais partie de l’équipe de rédaction. Ce peut être des articles historiques, des biographies ou des éléments de civilisation.

J’aime également la broderie et la tapisserie au point: je confectionne des motifs de style viking ou médiéval en essayant d’utiliser des points et des matières les plus proches de ceux utilisés à ces époques.

 

  • Avez-vous d’autres projets en tête, d’écriture ou non?

Oui, plein, mais c’est le temps qui me manque. Je mène en parallèle une carrière d’enseignant-chercheur en informatique qui me prend beaucoup de temps et j’ai aussi une vie de famille.

J’ai achevé depuis peu un roman sur ce même thème du siège de Paris par les Vikings, mais pour les adolescents. Il prend la forme d’un journal où Amaury, fils d’un leude franc du comte de Paris, raconte les événements du siège.

J’ai commencé le tome 3 du Siège de Paris par les Vikings qui voit la fin du siège, le couronnement d’Eudes comme roi de Francie Occidentale et emmène Porgils au pays des Varègues.

J’ai en tête également un personnage de détective évoluant au temps de Guillaume Longue Epée, un genre de Sherlock Holmes "viking-normand ", car je suis aussi totalement passionnée par ce personnage du grand détective créé par Conan Doyle.

… et j’ai aussi l’idée d’une compilation de petits textes sur les aventures du dieu Loki.

 

  • Pour ma part, j’ai eu la chance de faire votre connaissance lors d’une séance de dédicace. Où peut-on vous rencontrer ou bien suivre votre actualité?

Deux incontournables: mon site web et la page facebook [coordonnées à la fin de cet article, ndlr ]. J’essaie d’être présente également lors de fêtes médiévales, s’il y a un stand "littéraire". J’ai ainsi assisté aux fêtes médiévales de Bayeux, à celles de Provins…

 

  • Pour finir, et afin de lutter contre l’image d’Epinal du barbare sanguinaire, pourriez-vous en 5 mots citer les qualités des Vikings qui sont, selon vous, les plus remarquables ?
  1. Adaptable
  2. Tolérant
  3. Aventurier et intrépide
  4. Artiste
  5. Paisible fermier et commerçant, pouvant se transformer en redoutable guerrier si l’occasion le requiert.

 

Un grand merci Joëlle pour le temps que vous nous avez accordé et vos réponses très complètes. Après avoir dévoré les deux premiers tomes de votre roman, j'avoue mon impatience de découvrir la suite des aventures de Porgils. Une impatience qui ne fait que croître au vu de vos confidences sur la prochaine destination de ce protagoniste: les terres des Varègues! 

Quant aux lecteurs d'Idavoll, il est toujours temps, si ce n'est déjà fait, de vous lancer à l'assaut de cette épopée incontournable,  le "Siège de Paris par les Vikings", contée avec talent par Joëlle Delacroix.

 

Suivre l’actualité de Joëlle Delacroix ou la contacter pour tout événement :

Le Siège de Paris par les Vikings

  • Les Vikings sur la Seine, Tome 1, éd. de l'Harmattan, préface de Jean Renaud
  • Le choix de Porgils, Tome 2, éd. de l'Harmattan

> Prix "Coup de Coeur" du Salon du Premier Roman de Draveil 2013

 

  • Oleg le Varègue, éd. Edilivre (Novembre 2013, nouvelle)
  • Le Voyage d'Yngvarr, éd. Edilivre, (Avril 2014, nouvelle)
  • Divers publications d'articles  sur le site: "Histoire pour tous"

 

Depuis cet entretien, 2 romans sont parus :

  • Les Prisonniers de la Vieille Tour, éd. Corlet (Octobre 2021)
  • Poppa de Bayeux, éd. Cahiers du temps ( Septembre 2018)

 

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