IDAVOLL

Russie - Le film "Viking" navigue entre scandale et succès

Des milliers de Russes se sont précipités le 29 Décembre 2016 dans les salles de cinéma pour découvrir le dernier film d'Andreï Kravchuk: Viking, pensant voir une version russe de "Game of Thrones". Au final, le film a suscité un intense débat sur l'histoire du pays ainsi que le rôle de l'église, et a choqué tout une partie de la population.

Le film raconte l'histoire de Vladimir le Grand devenu prince de Novgorod à la mort de son père en 972. Il fut forcé de s'enfuir pour la Scandinavie en 976 après l'assassinat de son frère Oleg par son autre frère Iaropolk Ier pour la conquête de la Rus' de Kiev. En Suède, avec l'aide du jarl de Norvège Håkon Sigurdsson, Vladimir rassemble une armée de Varègues avec laquelle il reprend Novgorod à son frère aîné Iaropolk, avant de tuer ce dernier.

L'ancêtre du prince Vladimir, un Viking suédois nommé Rurik, est le fondateur de la dynastie royale qui règna sur la Russie pendant 600 ans. (cf. sur Idavoll  Les Rus et Varègues, vikings de l'Est)

 

Les Vikings dans le film sont conduits par l'acteur suédois Joakim Nätterqvist qui s'était notamment illustré dans le film Arn, Chevalier du Temple.

Mais voilà, scènes de viols et d'orgies sexuelles, sacrifices humains et massacres sanglants sans fin menés par les Vikings jusqu'à ce que Vladimir le Grand voit la lumière et trouve Dieu, ont déclenché une véritable onde de choc lors de ces deux premières semaines de 2017.

 

Approuvé par Poutine et le Kremlin

Le film a été réalisé par le réalisateur Andreï Kravchuk pour la chaîne de télévision Kanal 1 contrôlée par Poutine et a été présenté comme un événement mondial.

Le président Vladimir Poutine a déclaré l'année dernière que le film traitait de l'événement le plus important dans l'histoire de la Russie: l'introduction de la foi orthodoxe dans l'ancienne Rus. Et alors que Poutine inaugurait en Novembre 2016  une statue géante du prince Vladimir juste devant le Kremlin, il a déclaré devant son gouvernement rassemblé aux pieds de la statue: "Le prince Vladimir est resté dans l’Histoire à jamais comme l’unificateur et le défenseur des terres russes, en homme politique visionnaire, qui a jeté les fondations d’un Etat fort, unifié, centralisé".

Vladimir Poutine décrit le film comme "une oeuvre d'art, non un documentaire", qu'il "voudrait revoir"

 

De nombreuses critiques

Malgré l'approbation de Poutine, Viking a déclenché une avalanche de critiques en Russie:

  • les représentants de l' Eglise orthodoxe enragent contre la mise en scène sanguinaire et immorale de celui qui devint Saint Vladimir,
  • les dissidents reçoivent le film comme un autre exemple de la propagande culturelle du Kremlin visant à falsifier l'image de la Russie,
  • les nationalistes russes estiment que le film est une insulte à la grandeur de la culture russe,
  • les historiens ont déjà relevé une foule d'erreurs et de falsifications historiques.

 

L'écrivain populaire Yevgeny Grisjkovets écrit sur son blog: "Cela ne vaut pas de publicité. C'est de la propagande. Le film est non seulement mauvais mais c'est aussi une honte. Il est aussi véridique historiquement que Le Hobbit ou Star Wars".

Un critique de cinéma sur www.daily.afisha.ru résume: "En tant que spectateur, vous avez un choix simple: être pris de dégoût immédiat et courir à la maison, ou trouver un plaisir sadomasochiste à coups de hâches sanglants dans ce spectacle de marionnettes".

Les psychologues veulent interdire le film aux enfants russes afin de leur épargner un traumatisme. La psychologue pour enfants Jana Golosjapova explique à Kp.ru: "Nos ancêtres sont dépeints comme des sauvages, des gens bestiaux qui ne savent pas ce qu'est la beauté ou la gloire."

Pendant ce temps néanmoins, le film engrange les roubles. Au cours des deux premières semaines de sa diffusion en Russie, le film a battu tous les records du pays en enregistrant 1,2 milliards de roubles en dix jours. Et ce n'est pas tout...Une grande partie du film a été tournée en Crimée annexée par la Russie en 2014 où, aux abords de Simferopol, les cinéastes ont construit un grand village Viking qui est maintenant devenu un parc à thème.

 

Un titre au coeur des débats

Un énorme budget (19 millions d'euros) et sept années de travail ont été consacrés à la réalisation du film. En dépit des nombreuses critiques, Viking obtient des louanges pour ses qualités cinématographiques et les détails techniques concernant les vêtements, les armes, les bijoux, le maquillage et les décors, allant  jusqu'à "réinventé" la langue disparue des nomades des steppes.

Le rédacteur en chef du Komsomolskaya Pravda souligne que "La reconstitution historique est un chef-d'œuvre". Il s'empresse cependant de rassurer les opposants à la "théorie des hommes du Nord" (selon laquelle l'Etat russe aurait été fondé par des Vikings) qui s'alarmaient du titre donné au film: " Les Vikings sont des personnages secondaires, des mercenaires. Cependant, ce nom apporte au film du mystère".

En effet, le titre du film suggérant que "saint Vladimir" puisse être relié aux Vikings, est perçu par les nationalistes russes et ultra-religieux comme une provocation. Cela entre notamment en contradiction avec la nouvelle histoire officielle de Poutine, de l'église et du Kremlin, qui enseigne aux enfants russes à l'école que la première formation de l'Etat russe n'a rien à voir avec les Vikings scandinaves.

Le commentateur et politologue Denis Dragoon dans Gazeta.ru, l'un des plus grands journaux en ligne de la Russie, prend pourtant la défense du choix de ce titre :" Le film a frappé l'essence de nos aspirations nationales. Nous ne sommes pas là où se trouve le désert et la taïga, la steppe et Urga (capitale nomade mongole)Nous sommes de Scandinavie!"  Il croit que la popularité du film peut être en partie expliquée par le fait que les Russes veulent vraiment plus de connexion avec la Scandinavie et ne trouvent finalement que peu de sens à la volonté du Kremlin de regarder vers l'Est, en direction de la chine: " Nous ne sommes pas scythes ou asiatiques. Et nous ne l'avons jamais été."  Il écrit encore: "Nous devons dire au monde entier, et en premier lieu à nous-mêmes, que nous sommes un pays européen. Culturellement, spirituellement, linguistiquement et même d'un point de vue dynastique."

Source: www.aftenposten.no (traduction et réécriture Kernelyd)

 

Le film sera diffusé dans plus de 60 pays

Les droits de diffusion du film Viking ont été acquis par plus de 60 pays. La fresque historique sera projetée en Allemagne, Espagne, Belgique, Suisse, République tchèque, Slovaquie, dans les pays de l’ex-Yougoslavie et dans d’autres États. Des contrats ont été signés avec la Chine, la Corée, les pays d’Asie du Sud-Est et d’Amérique latine.

"C’est merveilleux que des dizaines de pays aient apprécié les qualités du film et racheté les droits de diffusion de Viking, reconnaissant ainsi ses mérites cinématographiques, mais également leur grand intérêt pour l’histoire russe. La diffusion internationale permettra évidemment d’améliorer les résultats financiers du film", indique le producteur du film Constantin Ernst, cité par l'agence TASS

La réalisation du film a coûté 19 millions d’euros. Le film est sorti sur les écrans le 29 décembre et a encaissé 6,38 millions d’euros en Russie au cours du premier week-end de janvier, devançant le drame américain Beauté cachée avec Will Smith au box-office et se classant dans le Top-10 mondial du week-end, une première pour le cinéma russe, informe TASS, citant l'agence fédérale russe pour la culture et la cinématographie (Roskino).

 

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Commentaires

  • ghis
    • 1. ghis Le 09/04/2018
    c'est FORMIDABLE !! Les territoires du monde entiers, élevés plus tard au rang de nations, sont , pour l'Europe, dont fait partie la Russie, nés aux alentours du 10 et 11e siècle...il était temps que la Russie nous séduise avec son histoire, ses guerriers. On sait qu'un Russe est Fort et courageux (pour ceux qui ont un but), fallait-il encore nous montrer d'où ça venait !!

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