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Canada - L'improbable histoire de l’épée viking trouvée dans le Nord de l’Ontario

Depuis la première moitié du XXème siècle, une épée viking fait sensation dans le Nord de l'Ontario et soulève une question: les Vikings sont-ils arrivés dans la région des Grands Lacs 500 ans avant Étienne Brûlé et Samuel de Champlain? 

Au début des années 1930, des armes d'origine viking en apparence ont été mises au jour par James Dodd, un prospecteur et conducteur de train de Port Arthur - appelée de nos jours Thunder Bay - une ville du Nord de l'Ontario. Il travaillait sur une concession minière près de Beardmore, au nord-est de Nipigon, lorsqu'il a découvert des artefacts en fer rouillé - une épée, une tête de hache et une amulette.

Un fervent enquêteur

Le Musée royal de l’OntarioCanada - L' «épée de Beardmore»  - Photo: Brian Boyle/ Musée royal de l'Ontario (ROM) qui avait eu vent de l'affaire, rencontra le prospecteur amateur en 1936. Le conservateur Charles Trick Currelly reconnut dans les artefacts d’authentiques objets vikings et le récit que lui fit James Edward Dodd acheva de le convaincre qu’il ne s’agissait pas d’une escroquerie. Le ROM en fit l'acquisition pour la modique somme de 500 $ et durant de nombreuses années, les artefacts de Beardmore furent exposés en vedette au musée torontois.

James Curran, rédacteur en chef du Sault Star, un journal quotidien basé à Sault Ste. Marie, fut littéralement fasciné par cette découverte. Il compulsa un grand nombre d'informations, essayant de donner un sens à des récits contradictoires, des histoires, des légendes et de prétendues preuves archéologiques, parmi lesquelles ce qui passait pour être une lance nordique trouvée à Gros Cap en Ontario.

Il alla jusqu'à retrouver les gens pour des entrevues, réfuter les arguments selon lesquels les artefacts n'étaient pas authentiques et écrivit énormément sur ce que cela pouvait signifier pour l'histoire du Canada. Ce ne fut pas une tâche aisée. En 1938, dans le Globe and Mail, le journal quotidien à plus fort tirage du pays, un rédacteur loua même la ténacité de Curran, indiquant qu'il ne connaissait pas d'enquêteur qui "ait à suivre une piste...à travers une plus grande quantité de faits contradictoires."

 

Sur la piste du Vinland

James Curran publia le résultat de ses recherches dans une série d'articles du Sault Star ainsi que dans un livre intitulé Here was Vinland: The Great Lakes Region of America.

L'endroit exact où se trouvait le Vinland, en référence à la colonie établie par les Vikings venus du Groenland au Nouveau Monde, était alors un mystère. Curran pensait qu'il pouvait s'agir de la région des Grands Lacs et que les Vikings avaient peut-être atteint la région par la baie James, un grand golfe prolongeant vers le Sud la baie d'Hudson. Pendant un certain temps, il fut considéré comme le principal promoteur de cette idée.

Il soutenait avec véhémence que les artefacts de Beardmore étaient authentiques et qu'ils prouvaient la présence des Vikings dans le Nord de l'Ontario. Lors d'un dîner-conférence donné à l'Empire Club de Toronto, James Curran exhorta tout le monde à s'impliquer dans la recherche de vestiges vikings dans la région, certain qu'il y en avait d'autres à découvrir: "Nous devrions amener tout le monde dans nos communes à être conscient qu'il existe des vestiges et à chercher dans les endroits où ils sont susceptibles de se trouver, comme les rives des lacs et des rivières ou les terrains propices au campement, n'importe quel endroit où vous camperiez vous-même."

 

Une découverte controversée

Alors que l’histoire de la découverte défrayait la chronique, le récit de James Dodd fut rapidement mis en doute. Eli Ragotte, un ancien colocataire et collègue de James Dodd, soutint que ce dernier avait volé les objets au propriétaire de la maison qu'ils habitaient et affirma les avoir vus dès 1929 ou 1930.

En janvier 1938, le News-Chronicle de Thunder Bay rapporta les propos de J.M. Hanson, un entrepreneur de Port-Arthur, expliquant qu'un Norvégien du nom de John Bloch lui avait donné les artefacts en garantie d'un prêt de 25 $ et que les objets avaient été laissés dans le sous-sol d'une maison de Port Arthur - celle louée par James Dodd. 

Les deux hommes se rétractèrent par la suite: Eli Ragotte avoua avoir voulu faire une "blague" alors que J.M. Hanson ne put confirmer avec certitude, en voyant les objets exposés au Musée royal de Toronto, qu’il puisse s’agir des mêmes. Pour autant, la controverse ne s’apaisa pas. Dans les années 1950, un jeune anthropologue nommé Edmund Carpenter décrivit les artefacts de Beardmore comme étant "la plus célèbre fraude archéologique de l’Ontario".

Le coup de grâce arrive en novembre 1956: Walter, le fils adoptif du prospecteur, contacta le Musée royal de l’Ontario. Il affirma que son père avait découvert les objets dans le sous-sol de leur maison à Port Arthur et qu'il "les avait déposés par terre à un endroit qu'il avait dynamité quelque temps auparavant" avant d'y retourner, plusieurs mois plus tard, pour faire croire qu'il les avait découverts là-bas. Walter Dodd ajouta que sa précédente déclaration faite sous serment et qui confirmait la version de son père, avait été signée par peur sous la contrainte de ce dernier. James Dodd, mort deux plus tôt, ne put s'en défendre.

Moins de deux semaines plus tard, les artefacts de Beardmore furent discrètement retirés de leur vitrine d'exposition et remplacés par un panneau indiquant qu'ils avaient été "retirés temporairement". Ce retrait temporaire aura duré finalement près de 40 ans. Dans les années 90, le musée exposera à nouveau l’épée et la tête de hache, toutes deux présentées comme d’authentiques objets vikings datant du XIème siècle environ, mais en passant désormais sous silence toute référence à leur découverte controversée.

 

Qui croire?

S'agit-il d'une authentique épée perdue là par un Viking? D'une épée obtenue par des autochtones auprès de Vikings plus à l’Est et transportée en Ontario? Ou d'une épée ayant appartenu à une famille scandinave venue s'établir dans la région de Thunder Bay? Sa provenance, ainsi que celle des autres objets qui l'accompagnent restera sans doute à jamais inconnue. La seule certitude est que cela ne suffit pas à faire du Nord de l'Ontario le Vinland.

Les habitants de la province sont particulièrement attachés à ces artefacts, notamment les Scandinaves qui y voient la preuve que leurs ancêtres avaient précédé les Français et les Anglais dans la région. Mais ils fascinent aussi les passionnés d’Histoire.

Le musée de Nipigon, près de Beardmore, expose les reproductions de ces objets dans sa collection. "J'aime rêver. Quand j'étais jeune, on croyait vraiment que les artefacts étaient authentiques et que les Vikings étaient passés par ici. Nos livres d'histoire en témoignaient. [...] Il a tout fallu changer par la suite", explique la conservatrice du musée, Betty Brill, qui n’écarte pas complètement la possibilité que les Vikings se soient rendus jusque là. 

Dans les faits, il y a peu de chance que les habitants de la région mettent au jour des artefacts de l'Âge Viking comme les y encourageait James Curran en son temps... à moins, bien sûr, qu'ils ne vivent du côté de Gros Cap et tombent sur un accessoire laissé derrière le plateau de tournage de la série télévisée Vikings, présentes sur les lieux en 2015.

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