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Islande - Ce que révèle le génome des premiers colons de l'Âge Viking sur la constitution d'une population

Si les Islandais actuels se retrouvaient face aux fondateurs du pays, tout air de ressemblance serait bien difficile à observer, d'après une nouvelle étude. En effet, les Islandais d'aujourd'hui ont une proportion beaucoup plus élevée de gènes scandinaves que leurs lointains ancêtres, ce qui suggére que les insulaires ont subi un changement génétique remarquablement rapide en un millénaire.

Des études antérieures avaient déjà laissé entendre une telle conclusion à partir de génotypes actuels, fait remarquer Jonathan Pritchard, un généticien des populations de l'Université de Stanford à Palo Alto, en Californie, qui n'a pas participé à cette recherche. Mais, selon lui, les nouvelles découvertes offrent un aperçu rare et direct de la fondation d'un nouveau peuple: "Je ne pense pas que cela ait déjà été montré pour aucune autre population humaine."

27 génomes de colons des premières générations 

Islande - Squelette découvert en 1947 avec 3 autres, appartenant tous à la première génération de colons - Photo: Ivar Brynjolfsson / Musée national d'IslandeLes sources médiévales indiquent que l'Islande a d'abord été colonisée entre 870 et 930 par des explorateurs vikings et des personnes qu'ils avaient réduits en esclavage, qui possédaient un mélange de gènes marqueurs à la fois de ce que sont aujourd'hui la Norvège et les îles britanniques.

Pendant 1000 ans, la population de l'Islande est restée relativement restreinte et isolée, oscillant entre 10 000 et 50 000 habitants. D'impeccables registres généalogiques et un large échantillonnage génétique ont permis aux Islandais - au nombre aujourd'hui de 330 000 - de constituer une population modèle pour les généticiens qui espèrent établir un lien entre les variantes génétiques et les caractéristiques.

En cherchant à mettre à profit les précédentes recherches, une équipe dirigée par la généticienne S. Sunna Ebenesersdóttir de l'Université d'Islande et de la société biopharmaceutique deCODE Genetics, à Reykjavik, a analysé le génome complet de 27 ancêtres islandais dont les squelettes proviennent de divers sites funéraires découverts à travers l'île. Leur appartenance aux premières générations de colons ne fait aucun doute d'après la datation archéologique et au radiocarbone, qui les situe tous aux environs de l'an 1000.

Un de ces squelettes est celui d'une femme avec un génome nordique, ce qui montre qu'il devait y avoir aussi des femmes originaires de Norvège qui embarquaient pour l'Islande.

 

Les esclaves avaient aussi des enfants

Le séquençage a révélé que les colons avaient soit une origine nordique (correspondant aujourd'hui à ce qui est la Norvège et la Suède), soit gaélique (i.e maintenant l'Irlande et l'Écosse), soit un mélange des deux à peu près à parts égales. Il en découle plusieurs observations.

"Il est intéressant de noter que l'un des premiers Islandais possédait déjà un mélange d'ADN norvégien et gaélique - cela souligne qu'un mélange a eu lieu avant l'arrivée en Islande, probablement en lien avec la présence des Vikings en Irlande et en Écosse", explique le professeur Matthew Driscoll, expert en Langue et Littérature islandaises à l'Université de Copenhague, qui n'a pas participé à la recherche. Les Vikings ont colonisé l'Ecosse et l'Irlande dès la fin des années 700. 

Un autre point intéressant est que les chercheurs ont pu observer la façon dont la société était divisée, de sorte que les Vikings avec le statut d'hommes libres ont de toute évidence eu plus de descendants que les esclaves. "Ce n'est pas surprenant que les choses se soient passées ainsi, mais c'est intéressant d'en avoir la confirmation", commente Matthew Driscoll.

En outre, cela indique aussi que les esclaves avaient eux-mêmes des enfants qui, à la longue, ont fait partie de la population.  "Pour avoir un statut il fallait avoir beaucoup d'esclaves, et une façon d'obtenir plus d'esclaves était de les faire avoir des enfants. En outre, nous savons par les sagas qu'il n'était pas inhabituel que les Vikings aient des enfants avec des femmes esclaves", explique Kári Stefánsson, responsable de la recherche à deCODE Genetics.

 

Les Norvégiens plus proches que les Islandais des premiers colons en Islande

Les chercheurs ont comparé les génomes de la première génération à ceux de milliers de personnes vivant aujourd'hui en Islande et dans les autres pays européens, et c'est ainsi qu'ils ont découvert que l'ascendance scandinave en Islande est passée de 57 % au moment de la colonisation à 70 % de nos jours. C'est la démonstration que durant les 1100 années qui se sont écoulées entre la colonisation de l'Islande et aujourd'hui, la population a subi un changement génétique étonnamment rapide. 

Lorsque les chercheurs ont utilisé une simulation informatique pour modéliser la transmission des gènes dans la population au fil du temps, ils ont trouvé une explication plutôt prosaïque à la rapidité de ce changement : les fluctuations aléatoires des fréquences génétiques connues sous le nom de "dérive génétique", souvent observées chez les populations isolées d'animaux mais rarement suivies avec une telle précision chez les humains.

Les auteurs de l'étude notent qu'un autre facteur contributif pourrait être l'immigration ultérieure en provenance de Scandinavie - et en particulier du Danemark - qui a probablement influé sur le patrimoine génétique de l'Islande.

Enfin, ils évoquent la possibilité que les premiers Islandais avec une ascendance nordique plus importante aient eu un léger avantage dans le succès de la reproduction sur ceux d'ascendance gaélique, dont beaucoup avaient été réduits en esclavage avant même d'arriver sur l'île.

Cependant, les chercheurs attirent l'attention sur une évidente sous-représentation des individus asservis, et donc d'ascendance gaélique, car les tombes mises au jour par les archéologues sont généralement celles édifiées avec soin pour les hommes libres, avec un statut social. Selon les auteurs du rapport, un échantillon plus large de génotypes islandais des premières générations serait donc nécessaire pour déterminer quels facteurs ont le plus fortement influencé la génétique de l'île.

 

L'Islande, une population modèle pour les généticiens

Entre autres choses, la nouvelle étude, en se basant sur l'ADN ancien, a permis de faire la première découverte d'un individu atteint du syndrome de Klinefelter [ syndrôme qui se caractérise chez l'humain par un chromosome sexuel X supplémentaire. L'individu présente alors 2 chromosomes X et un chromosome Y, soit 47 chromosomes au lieu de 46. L'individu est alors de caractère masculin, mais infertile].

"Le mélange des populations et la colonisation de nouvelles terres sont des thèmes récurrents concernant la propagation de l'homme à travers la planète au cours des 70 000 dernières années", constate Agnar Helgason, docteur en Anthropologie biologique et co-auteur de l'étude, avant d'ajouter: " Notre étude de l'ADN à partir des dents des Islandais de l'Âge Viking apporte la première recherche approfondie sur la formation d'une nouvelle population par mélange génétique."  

"Les famines et les épidémies à répétition ont conduit à une perte conséquente de la diversité des séquences du patrimoine génétique islandais, ce qui l'a éloigné de ses populations sources en Scandinavie et dans les îles britanniques et irlandaises", résume Kári Stefánsson. "C'est un exemple fascinant de la manière dont une population est façonnée par son environnement, en l'occurrence les conditions difficiles et l'isolement de l'Islande médiévale. C'est aussi une autre démonstration de la manière dont notre population, petite mais bien caractérisée, peut continuer à apporter d'importantes contributions à la compréhension des processus génétiques et évolutifs fondamentaux qui façonnent notre espèce."

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