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Îles Féroé - Les colons vikings devancés par des bergers venus des îles britanniques

L'idée selon laquelle les explorateurs vikings auraient été les premiers à coloniser les Îles Féroé a fait long feu. Grâce à de nouvelles analyses portant sur l'ADN ancien de moutons, des scientifiques viennent de démontrer que le lointain archipel était déjà habité depuis des siècles par des bergers venus d'Angleterre ou d'Irlande.

"Jusqu'à récemment, la théorie dominante était que les îles Féroé avaient été colonisées en premier par les Vikings lors de leurs migrations vers l'ouest à travers l'Atlantique Nord, soit vers les îles britanniques, puis l'Islande et le Groenland", a déclaré Nick Balascio, professeur agrégé de Géologie au Collège William & Mary, à Williamsburg en Virginie.

Il a participé, avec une équipe de chercheurs, à l'étude de marqueurs biogéochimiques découverts dans des sédiments lacustres dans le but de cartographier les changements environnementaux et reconstruire les modèles d'activité humaine passée dans l'archipel.

Les résultats ont été publiés le 16 Décembre 2021 dans la revue scientifique Nature: Communications Earth & Environment.

 

De l'absence de preuves irréfutables

Les vestiges archéologiques les plus anciens laissés dans l'archipel par les Vikings datent du IXème siècle. Cependant plusieurs indices suggèraient déjà, comme le rappellent les auteurs, une colonisation antérieure venue des îles britanniques. 

D'après des textes du Moyen Âge, St Brendan serait le premier navigateur irlandais à avoir traversé l'Atlantique entre 512 et 530 de notre ère, et il aurait trouvé une terre surnommée l'île des Bienheureux. Plus tard, en 825, le moine irlandais Dicuil mentionne dans ses écrits la présence d'ermites au moins un siècle avant l'arrivée des Vikings. Nombreux sont ceux qui émirent alors l'hypothèse que ces récits faisaient référence aux îles Féroé, sans preuve concluante pour la corroborer.

Il existe également de nombreux toponymes dérivés de mots celtiques, ainsi que des inscriptions funéraires celtiques. Néanmoins, ces usages pourraient tout aussi bien découler des contacts entre les Vikings et les populations d'Écosse, d'Angleterre et d'Irlande au IXème siècle.

En 2006, ce sont des analyses ADN qui ont alimenté la controverse en révélant une "forte asymétrie" génétique au sein de la population féringienne, avec un lignage paternel principalement scandinave et un lignage maternel originaire des îles britanniques encore plus élevé aux Féroé qu'en Islande. Mais là encore, cela ne démontre rien car les Vikings emmenaient avec eux dans leurs voyages des femmes non autochtones, un phénomène courant déjà observé en Islande. 

En 2013, le débat fut relancé par l'annonce de la découverte de grains d'orge carbonisés datant d'une époque antérieure à la colonisation des Vikings, entre le IVème et le VIème siècle de notre ère, dans un site archéologique de l'île de Sandoy. Mais toujours aucune preuve archéologique.

 

Un lac près d'une ferme viking pour point de départ

Les Îles Féroé - Moutons près du lac Eiði dont les sédiments gardent des traces d'activités humaines, plusieurs siècles avant les Vikings - Photo: Raymond Bradley/ UMass AmherstL'équipe composée de scientifiques du College of William & Mary, du LDEO, des Universités de Californie à Santa Cruz, du Massachusetts à Amherst et de Bergen en Norvège, avait initialement entrepris de mieux comprendre le climat au moment où les Vikings sont arrivés dans l'archipel. En Août 2015, ils ont utilisé un bateau pour extraire des carottes de sédiments du lac Eiði (Eiðisvatn) sur l'île d'Eysturoy, l'une des 18 îles que compte l'archipel de 1400 km².

Le site n'a pas été choisi au hasard. Il se trouve à proximité des vestiges documentés d'une ancienne ferme viking qui était en activité à partir de la moitié du IXème siècle, et qui fut abandonnée au milieu du XIème siècle. "Nous avons concentré nos efforts là, en pensant que si les Vikings s'y étaient installés, c'est que le lieu avait aussi dû être attractif pour des occupants antérieurs", a expliqué le paléoclimatologiste William D'Andrea, co-auteur.

Les chercheurs ont eu recours à de nouvelles techniques moléculaires afin de reconstituer l'histoire passée des changements environnementaux. "Nous sommes venus en pensant que nous pourrions utiliser les sédiments lacustres, qui ont continuellement accumulé de la matière pendant cet intervalle de temps, pour essayer de savoir quand des gens sont arrivés là", a ajouté Nick Balascio.

Ces dernières années, a souligné le professeur, les chercheurs commencent à comprendre de mieux en mieux la manière dont les hommes ont impacté leur environnement, avec l'établissement de colonies agricoles qui ont parfois fini par devenir de plus grandes civilisations. "Nous avons réalisé que nous disposions des outils qui permettent de reconstruire des environnements du passé et que nous pourrions les utiliser pour répondre à des questions davantage d'ordre anthropologique concernant l'endroit où se trouvaient les gens et comment ils vécurent dans certains milieux au fil du temps."

 

Des traces de matière fécale

Lors des analyses des sédiments en laboratoire, un dépôt de cendres présent à travers tout l'Atlantique Nord suite à l'éruption d'un volcan islandais en 877 a aidé les scientifiques à identifier les couches géologiques de sédiments précédant la colonisation scandinave.

Les scientifiques ne s'attendaient pas nécessairement à trouver des traces d'ADN humain en raison de la faible concentration de personnes ayant probablement vécu là. En revanche, ce qu'ils ont trouvé, ce sont une grande quantité de petits fragments d'ADN de mouton et une concentration de biomarqueurs issus de leurs matières fécales. Grâce à l'émergence d'une toute nouvelle technologie de séquençage de l'ADN, ils ont pu les dater entre la fin du Vème, peut-être même dès 370, et le début du VIIème siècle de notre ère.

Contrairement aux pollens ou au charbon de bois par exemple, qui peuvent être modifiés par l'érosion ou les variations climatiques, "les biomarqueurs fécaux fournissent des preuves incontestables de la présence d'êtres humains et de bétail", écrivent les chercheurs. 

 

Une augmentation des graminées

Dans ces îles isolées à mi-chemin entre la Norvège et l'Islande, tous les mammifères ont été introduits par l'homme. "Il n'y avait pas de moutons sauvages avant les premiers peuplements", a confirmé William D'Andrea.

La datation des matières fécales coïncide notamment avec une évolution de la végétation à la même période, 300 à 400 ans avant l'arrivée des colons vikings, révélée par une augmentation du pollen de graminées et la disparition des plantes ligneuses, "probablement en raison du pâturage du bétail" écrivent les auteurs de l'étude. 

Le bétail n'aurait pu atteindre le lointain archipel sans y être amené par des hommes en bateau.

Or, malgré les incroyables exploits des navigateurs scandinaves, la voile ne serait pas adoptée en Scandinavie avant 750-820, bien plus tard que dans d'autres parties de l'Europe. Sans cette révolution technologique qui permettait de voyager sur de longues distances, il est peu probable que les éleveurs qui ont accosté aux îles Féroé au début du VIème siècle aient été d'origine nordique.

 

Le glas de l'origine nordique des premiers colons

"Nous ne savons toujours pas qui étaient ces gens et pourquoi ils ont choisi d'aller aux îles Féroé. Mais de nombreuses informations nous portent à croire qu'il est très probable qu'il y ait eu une population de personnes des îles britanniques", a déclaré le professeur D'Andrea.

Toutefois, il est difficile, précise-t-il, de le démontrer tant "les causes des migrations humaines sont diverses, entremêlées, liées à des questions climatiques, politiques, de ressources, ou tout simplement à l'esprit d'exploration de l'homme... Ne serait-ce pas formidable de pouvoir leur demander ?".

D'après Kevin Edwards de l'Université d'Aberdeen, co-auteur de l'article consacré à la découverte des grains d'orge sur l'île de Sandoy en 2013, cette nouvelle étude "produit des preuves convaincantes et passionnantes d'une occupation antérieure" à celle des colons scandinaves. "Des preuves de même nature peuvent-elles être trouvées en Islande, où des arguments comparables sont avancés en faveur d'une présence pré-nordique pour laquelle, de la même façon, il reste à trouver des éléments archéologiques, des analyses polliniques et de l'ADN humain?", s'interroge-t-il.

L'auteure principale, le Dr Lorelei Curtin, a mené cette recherche alors qu'elle était étudiante diplômée au LDEO. D'après elle, il ne fait aucun doute que les résultats qu'ils ont obtenus "sonnent le glas" de l'idée selon laquelle les îles étaient inhabitées jusqu'à l'arrivée au IXème siècle des Vikings.

Le saviez-vous?

Le nom en vieux norrois de l'archipel est Færøerne, ce qui signifie "les îles aux moutons" (fær pour "mouton").

En mai 2016, contrairement à presque toutes les autres régions d'Europe, les îles Féroé n'existaient pas sur Google Street View. 

Pour inciter Google à venir parcourir les routes de l'archipel, un projet a vu le jour avec pour ambassadrice l'actrice Durita Dahl Andreassen, qui travaille pour l'organisme touristique Visit Faroe Islands: le projet Sheepview 360

Puisque les îles sont parcourues par des milliers de moutons en liberté, quelques uns d'entre eux ont été équipés d’un harnais spécial portant des caméras alimentés par un panneau solaire. Couplées à un GPS, ces caméras filmaient à 360° l’environnement dans lequel les moutons évoluaient pour paître et transmettaient automatiquement leurs images via une liaison mobile aux serveurs du projet "Sheep View 360".

L'initiative, qui a remporté de nombreux prix, a porté ses fruits avec l'arrivée dès le 31 Août 2016 d'une Google street car.

 

Explorez à votre tour les Îles Féroé à dos de mouton en déplaçant votre souris sur la vidéo 

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