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Norvège - Les plantes et leurs usages à l'Âge Viking défrichés par une nouvelle étude

Dans les représentations populaires, le régime alimentaire des Vikings, à l'instar des Gaulois mangeurs de sangliers, se résume bien souvent à la consommation de viande et de poisson. C'est faire fi de la place tout aussi importante qu'occupaient les végétaux. Une équipe de chercheurs va se pencher sur ce sujet bien plus vaste et complexe qu'il n'y paraît.

L’enjeu de ce projet, intitulé "Peuples et plantes nordiques", est de réunir le plus d'informations possible sur les plantes traditionnelles du Nord et leur utilisation, de l’Âge Viking à nos jours. 

Les gens ont toujours dépendu des végétaux pour la nourriture, l'alimentation des animaux, les médicaments, les vêtements, les outils et les matériaux de construction. La diversité des plantes a influencé la manière dont les gens se sont habillés et ont construit, ainsi que la manière dont ils se sont protégés des maladies. Les hommes ont influencé la diversité végétale en cultivant et en introduisant de nouveaux types de plantes, mais ils ont également provoqué à l'occasion leur extinction.

Redécouvrir les plantes de jadis, c'est donc à la fois apporter un nouvel éclairage historique, pouvoir identifier de nouveaux composés bioactifs pour la médecinesauvegarder le patrimoine botanique pour les générations futures et même retrouver des saveurs culinaires.

 

Un jardin viking

Norvège - Le jardin viking au Jardin botanique d'Oslo - Photo: Playcreate design"Les représentations populaires donnent l’impression que la viande est la base même du régime alimentaire des Vikings. Beaucoup d'éléments indiquent que les végétaux étaient tout aussi importants que la viande et le poisson", a déclaré Anneleen Kool, botaniste au Muséum d'Histoire naturel d'Oslo et responsable du projet. 

Dans le cadre de son travail, la botaniste a notamment participé à la conception du jardin viking, inauguré en 2014 au Jardin botanique d'Oslo. Le jardin présente environ 150 espèces cultivées ou sauvage qui ont été utilisées par les Vikings. 

"Lorsque nous avons créé le jardin viking, nous nous sommes dit qu'il devait constituer le point de départ de nos connaissances et de la recherche. Par exemple, nous cultivons beaucoup de plantes médicinales. Mais nous savons peu de choses sur la période à laquelle les différentes plantes se sont mises à pousser dans les pays nordiques, à quoi elles ont servi et comment elles ont été utilisées."

 

Plusieurs énigmes à résoudre

Les scientifiques cherchent aussi à apporter des réponses à plusieurs énigmes de l’Âge Viking et du Moyen-Âge.

L'une de ces énigmes est le carvi (Carum carvi), une plante herbacée qui pousse dans toute la Norvège. Le carvi est utilisé comme épice et médicament depuis des milliers d'années. En Norvège, il a été durant longtemps un produit majeur d'importation. Cependant, aucune graine de ce qui se nomme également le cumin des prés n'a été trouvée dans les tombes vikings ou d'autres sites archéologiques de l'époque. Pourquoi?

Les mots "bière", "lin" et "oignons" forment une autre énigme. Ce sont trois des mots les plus couramment rencontrés dans les inscriptions runiques sur plusieurs centaines d'années. Les plus anciennes occurences datent du IVème siècle. Il est souvent écrit "lin et oignon", mais parfois juste "bière" et quelquefois les trois mots ensemble. Mais pourquoi?

 

Quand une mauvaise herbe devient un aliment nutritif

"L’un de nos objectifs avec ce projet est d’examiner le matériel archéologique sous un nouvel angle. Plus je travaille sur le sujet, plus je constate qu'une grande partie de la recherche est axée sur l'humain", a expliqué Karoline Kjesrud, qui travaille au musée d'Histoire culturelle et participe à cette étude. Elle appelle ce mécanisme "l'invisibilité des plantes"

En effet, d'après elle, les hommes se préoccupent essentiellement d'eux-mêmes et des animaux, tandis qu'ils n'accordent que peu d'attention aux plantes et aux arbres. Mais cela peut sembler étrange, car les végétaux sont la principale composante de la majeure partie de ce qui nous entoure dans notre vie quotidienne. "Des classes d'école visitent fréquemment le Muséum d'Histoire naturelle. Alors, on leur pose souvent une question d'introduction: 'Quelles plantes avez-vous utilisées aujourd'hui?' Les élèves et les enseignants prennent un air perplexe. Ils ne pensent pas à la literie et aux chaussettes de laine de couleur, aux flocons de maïs et aux confitures sur la table du petit-déjeuner, qui sont à base de plantes.

Les gens d'aujourd'hui perçoivent les végétaux et la nature comme des toiles de fond, où les animaux apparaissent comme des créatures dignes d'intérêt. La chercheuse estime que cette façon de trier les perceptions visuelles a peut-être aussi affecté les archéologues, les historiens et les autres personnes qui se sont attelés à décrire les découvertes datant des époques viking et médiévale.

Si, par exemple, ils découvrent des graines de Chénopode blanc (ou épinard sauvage), ils vont immédiatement penser à des "d'ennuyeuses mauvaises herbes" et non à un "aliment nutritif". "Dans cette étude, nous avons la possibilité de placer les plantes au centre. Par conséquent, l'homme y joue un rôle légèrement différent. N'oubliez pas que les plantes utilisent l'homme et les animaux pour disséminer le pollen et les graines. Cela ouvre une perspective quelque peu différente."

 

Du voyage des plantes au Groenland

Les cas de l'achillée millefeuille et de la renouée persicaire illustrent les axes de recherche de l'équipe interdisciplinaire. "Ce sont des exemples de plantes que les Vikings ont emportées avec eux lors de leurs voyages", a précisé Karoline Kjesrud. Jusqu'en l'an 1000, elles n'apparaissent pas dans les analyses de pollen retenu prisonnier de la glace au Groenland. Après l'an 1000, il est possible de trouver du pollen de ces deux plantes au Groenland. Et c'est vers l'an 1000 que les Vikings s'y sont installés.

Un grand nombre des plantes considérées de nos jours comme des mauvaises herbes ont peut-être eu une fonction importante dans le passé. L'achillée millefeuille était utilisée comme épice, comme médicament et dans la fabrication de la bière. Le nom qu'on lui donnait dans les dialectes de diverses régions en Scandinavie contient le mot "houblon", ce qui indique qu'il était courant de l'utiliser dans la bière.

La renouée persicaire ne poussait pas non plus au Groenland avant l'arrivée des Vikings, mais apparaît sur les sites archéologiques à l'endroit des fosses à déchets et autour du foyer tenant lieu de cuisine.

Anneleen Kool explique: "Cette plante herbacée est passionnante à bien des égards. Elle est liée au sarrasin et les petits fruits ont peut-être été utilisés pour la cuisson du pain. C'est une espèce d'herbe commune, qui pousse partout, surtout dans les endroits légèrement boueux. Par conséquent, il peut facilement arriver que les graines se coincent sous les chaussures et se disséminent sur votre chemin." Les chercheurs ne savent donc pas si les Vikings ont délibérément emporté de la renouée persicaire parce qu'il s'agit d'une plante utile ou si elle s'est retrouvée au Groenland par hasard.

 

Le matériel archéobotanique passé au crible

L'ensemble des recherches repose sur une collaboration étroite et interdisiciplinaire entre les Sciences humaines et naturelles, afin d'évaluer au plus juste la manière dont les hommes ont impacté la diversité des plantes nordiques au cours du temps, et de faciliter la gestion future de la diversité des végétaux d'après les plantes traditionnelles.

Pour ce faire, de nombreux moyens vont être mis en place, et notamment le recours aux méthodes les plus récentes en Pharmacologie, Immunologie et Métagénomique [méthode d'étude du contenu génétique d'échantillons issus d'environnements complexes prélevés dans la nature].

Le matériel archéobotanique va être passé au crible. Les chercheurs vont aussi examiner ce qui poussait dans les plus anciens jardins de monastère et étudier tous les types de sources écrites mentionnant des utilisations de plantes.

Les sources iconographiques ne seront pas en reste car des plantes peuvent apparaître sur des portails d’église, à l'intérieur des églises, sur des gravures sur bois, des peintures et bien plus encore.

Et surtout, ils vont se pencher sur la façon dont les plantes sont utilisées à notre époque et à celle des grands-parents.

 

53 pommes dans la tombe d'Oseberg

Le tertre d'Oseberg, probablement le site le plus connu de l'Âge Viking, a fait l'objet d'intéressantes découvertes. Deux riches femmes ont été enterrées dans un magnifique bateau tombe en 834. La chambre funéraire était elle-même décorée de beaux tissus de laine, de soie et de lin.

En plus des chevaux, des chiens et d'un bœuf, 53 pommes ont été trouvées dans un seau. À cela s'ajoutent des graines de cresson et de lin, ainsi que des grains de blé, d'avoine et de seigle.  Il est difficile de dire si les céréales étaient très différentes de celles d'aujourd'hui. Le matériel est carbonisé, de sorte qu'il n'est pas possible d'en extraire l'ADN.

La découverte d'Oseberg a également permis de connaître plusieurs plantes utilisées pour la teinture de la laine et des textiles, telles que le pastel, la garance, l'ortie et le noyer.

"Des carottes ont été trouvées dans de nombreuses fouilles de l’Âge Viking. C'est une plante qui poussait à l'état sauvage et était beaucoup plus petite que la carotte actuelle - et qui n'était pas du tout orange. Elle était utilisée dans la médecine traditionnelle, mais probablement pas comme aliment", a précisé Anneleen Kool.

Les pommes ont également subi une transformation. Celles d'Oseberg étaient de minuscules et acides pommes sauvages. Les pommes de jardin actuelles sont probablement originaires d'Asie centrale. On sait peu de choses sur leur développement et leur propagation, probablement à la suite de croisements.

 

Les oignons et le lin occupent une place majeure

"La langue est une porte d'entrée pour la compréhension de l'Histoire", a ajouté Karoline Kjesrud, spécialiste de l'Histoire de l'Art, de Langue et de Littérature nordiques.

"S'il existe un nom de plante locale dans une source écrite des pays nordiques, cela doit signifier que la plante était connue au moment de la rédaction du livre. Nous examinons toutes sortes d'ouvrages, tels que les descriptions de la flore, les livres de cuisine, les livres de médecine - et, depuis les temps les plus anciens, les grimoires et les manuels de sorcellerie. De plus, nous avons recours à beaucoup d'autres sources. Cela peut être des noms de lieux, des surnoms de personnes, des poèmes, des contes de fées et des contes populaires."

L'une de ses tâches consiste à traduire et à analyser de vieux herbiers. Elle étudie également les inscriptions runiques avec des noms de plantes et les ornements de plantes des époques viking et médiévale pour identifier les plantes connues et utilisées jadis. Il s'avèrerait en fin de compte que les oignons et le lin occupent une place particulièrement centrale.

 

Une étude participative

En ce qui concerne certaines parties du travail à mener, le projet invite les chercheurs à sensibiliser le grand public à la connaissance des plantes, dans le cadre de ce qu'on appelle "la science citoyenne" ou "la recherche populaire".  

Les sources historiques contenant des informations sur l'utilisation des végétaux sont nombreuses. Une grande partie d'entre elles est manuscrite et difficile à lire, et beaucoup ne sont disponibles que sous des formats difficiles à manipuler. Les bénévoles sont chargés de rendre ce matériel accessible sous forme numérique afin qu'il puisse être saisi dans une grande base de données.

Le service des archives norvégiennes a aidé à créer un portail où les personnes peuvent aller publier des informations issues de leurs propres expériences et des connaissances de l'utilisation des plantes par les générations précédentes.

La Société mycologique du pays reçoit par ailleurs en permanence des informations sur l'utilisation ancestrale des plantes. Il en va de même pour certains restaurants. Le but ici est que les membres de l'association et les restaurateurs se servent des informations comme source d’inspiration pour tester de nouvelles utilisations et de nouvelles recettes.

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