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Norvège - Les reines de l'Âge Viking, échec et mat pour les stéréotypes

Des recherches menées à partir de figurines de jeu d’échecs, de voiles de bateaux et de sources littéraires telles que les sagas, montrent que les reines norvégiennes à l'Âge Viking et au Moyen Âge ont eu une influence plus grande qu’on ne le pensait jusqu'à présent.

"Quand j'ai commencé à préparer le livre sur les femmes vikings, j'ai été réellement interloquée", a déclaré Nanna Løkka, historienne des Religions à l'institut de recherche duTelemark et co-auteure du livre Women in the Viking Age. "J'ai examiné les programmes scolaires de la région et leur présentation dans les musées. J'ai relevé là de grandes omissions et de nombreuses représentations stéréotypées."

Une majorité de reines d'origine étrangère

Les deux principales auteures, Nanna Løkka et Karoline Kjesrud, se sont intéressées plus spécifiquement dans leur ouvrage aux reines, à leur rôle et aux opportunités qu'elles eurent d'exercer le pouvoir durant l'Âge Viking et le Moyen Âge en Norvège.

S'inscrivant dans une démarche féministe, les auteures ont revisité la définition du pouvoir et ont eu recours à plusieurs types de sources différentes, remettant de la sorte en cause l'histoire conventionnelle. Pour ce faire, elles se sont posées au préalable tout un faisceau de questions: qu'est-ce que le pouvoir? Et où est la distinction entre pouvoir informel et pouvoir formel? Où commence et où finit le pouvoir politique? Les chercheuses ont ainsi mis en évidence que le pouvoir et l’influence des femmes se manifestaient de nombreuses façons et dans divers endroits, autres qu'à la table du roi et dans la sphère masculine du pouvoir politique. "L'influence de la reine varie d'une reine à l'autre, d'un roi à l'autre. Certaines reines eurent une grande influence sur leur mari. D'autres s'adressaient à leur peuple ou obtenaient de traduire de la littérature d'Europe", a précisé Nanna Løkka.

Presque tous les reines norvégiennes du Moyen Âge venaient de l'étranger. Elles apportaient avec elles leur culture, sous la forme de vêtements, de coutumes et d'objets de leurs pays d'origine. Sur environ 50 reines de l'histoire norvégienne, seules 7 étaient d'origine norvégienne. "Les reines étaient pour beaucoup des modèles et elles incarnaient donc la mode et les tendances de leur époque. Par exemple, la reine Eufemia d'Allemagne, qui vécut vers 1300, était très intéressée par la littérature et la culture. Elle traduisait beaucoup de littérature européenne, y compris des romans de chevalerie, et contribua à faire évoluer le droit coutumier en Norvège", a expliqué l'auteure.

"Dans les écrits formels d'Histoire, il est courant de rédiger à part les chapitres sur les femmes ou de consacrer à l'histoire des femmes une section propre. Notre projet montre qu'il est possible d'intégrer dans la Recherche l'histoire des femmes sur un pied d'égalité avec l'histoire des hommes, par exemple en rapprochant les structures de pouvoir formelles et informelles."

 

Des reines sans roi dès l'Âge Viking

"La définition la plus courante de 'reine' est 'une femme mariée à un roi', mais à l'époque viking, les souverains et les petits seigneurs avaient souvent plus d'une épouse. Harald à la Belle Chevelure [le premier roi de Norvège] avait, entre autres, pour épouses Gyda, Åsa et Ragnhild." Nanna Løkka fait donc remarquer que le mot norvégien "reine" devait plutôt avoir le sens de "femme au foyer", puisque les femmes du roi étaient probablement des femmes au foyer dans les fermes respectives que le roi possédait.

"Nous avons aussi des exemples de reines norvégiennes qui ont eu du pouvoir et de l'influence longtemps après la mort de leur mari. Entre autres choses, à travers leur rôle de mère dans l'héritage du trône", a-t-elle ajouté. "Prenez la reine Astrid, mariée à Saint Olaf, roi de Norvège de 1015 à 1028. Le couple n'avait pas eu de fils ensemble, mais Astrid utilisa son statut pour élever son beau-fils Magnus après la mort du roi, renforçant ainsi sa propre position."

Le pouvoir de la reine fut officiellement renforcé par la loi sur la succession de 1163, qui assurait l'héritage du trône au fils aîné du roi. "Margrete Valdemarsdatter, qui vécut au XIVème siècle, est un exemple de reine qui gouverna sans roi. Elle devint régente à la suite d'une histoire politique assez compliquée. Son fils, héritier du trône du Danemark par son père, fut couronné roi là-bas. Son mari était roi en Norvège. La mort frappa d'abord son mari puis son fils, et Margrete finit par devenir la véritable régente de la Norvège, de la Suède et du Danemark."

 

Des pièces d'échecs aux voiles des bateaux 

Figurine de la reine dans le jeu d'échec de Lewis, au British Museum, XIIème siècleD'autres chercheurs issus de différentes disciplines ont, entre autres, utilisé des sources artistiques et littéraires pour décrire dans l'ouvrage le rôle d'une reine. Nana Løkka cite notamment Margrethe Stang, professeure spécialisée dans l'imagerie médiévale, qui est partie de l'étude de 93 pièces de jeu d'échecs. "Des pièces qui avaient été enterrées aux Hébrides au XIIème siècle ont été retrouvées. La figurine de la reine représente une vieille femme sage. Elle a la tête dans la main, ce qui signifie qu'elle est en train de méditer et elle tient une corne qui symbolise le pouvoir et la richesse."

D'autres contributeurs se sont basés sur la Saga des rois de Norvège, les sculptures de la Vierge Marie ou encore les voiles des bateaux. "Les historiens ont consacré de nombreuses pages à décrire en détail la construction des navires vikings. Nous savons, par exemple, que Torberg Skavogg a construit l'Ormen Lange, le célèbre navire d'Olav Tryggvasson, et nous connaissons le nombre de bancs de rameurs dont il l'a équipé. Alors que la voile de 100m² du navire ou les femmes qui l'ont tissée ne sont même pas mentionnées, pas un mot. Or sans voile, le navire ne serait pas allé très loin", a souligné Nana Løkka.

Karoline Kjesrud, quant à elle, a considéré le fait que la Vierge Marie ait pu servir de modèle pour le rôle de reine, au moment de l’émergence d'une monarchie norvégienne ."On a beaucoup écrit sur Saint Olav en tant que modèle des rois norvégiens, tandis que la relation entre la Vierge Marie et le rôle de reine est presque inexplorée." La chercheuse a comparé la tenue et la posture de la reine Sonja lors du couronnement de son époux avec les représentations médiévales de la Vierge Marie et ses attributs dans les rituels royaux. Elle montre, entre autres, comment il est possible de percevoir des traces du symbolisme qui entoure Marie dans les regalia [i.e l'ensemble des objets symboliques de royauté] des reines d'aujourd'hui, comme la couronne, le sceptre et l'orbe arborés en particulier lors du dernier couronnement qui eu lieu à la cathédrale de Nidaros en 1991.

 

La reine, cheffe de famille à l'Âge Viking

D'après Nana Løkka, la reine pourrait avoir eu un grand pouvoir en tant que cheffe de famille à l'Âge Viking et au Moyen Âge: " Elle a souvent eu son mot à dire dans les négociations pour savoir qui épouserait qui."

Les méthodes et les théories anthropologiques ont, selon elle, ouvert de nouvelles façons de lire l'histoire et ont ainsi contribué à changer la vision du rôle des femmes dans les temps anciens. "Les anthropologues, par exemple, ont davantage mis l’accent sur les conflits au sein des familles et entre individus que les chercheurs en Histoire. Les reines au Moyen Âge ont souvent joué un rôle important dans les conflits, ce qui se trouve donc mieux mis en évidence."

Deux professeurs d’histoire de l’Université d’Oslo illustrent ce point: Jon Vidar Sigurdsson, qui s'est intéressé à la notion d’amitié, et Hans Jakob Orning, qui a expliqué comment les cadeaux et les échanges de cadeaux contribuèrent pour beaucoup à la résolution de conflits. "Dans ces études, le rôle des femmes est plus évident, mais il aurait pu être plus approfondi encore", a commenté Nanna Løkka avant d'ajouter: "Dans les sources historiques classiques telles que les textes légaux, les chartes et les correspondances épistolaires, il y a peu de traces des reines norvégiennes. Par conséquent, il est important d’utiliser plusieurs types de sources qui se complètent. Je crois que le recours à des sources interdisciplinaires améliore la compréhension de l'Histoire."

 

Hommes et femmes à égalité dans la tombe

Marianne Moen est chargée de recherche au département d'Archéologie, de Conservation et d'Histoire de l'université d'Oslo. Elle mène des recherches sur le genre et la position des femmes à l'Âge Viking. Elle pense que les idées préconçues sur les notions de genre caractérisent notre compréhension du statut et du pouvoir des femmes à l'Âge Viking et au Moyen Âge."Je travaille avec du matériel archéologique, provenant principalement de tombes viking du Vestfold telles que celles d'Oseberg et de Kaupang. Les tumuli nous en disent long sur la position des femmes à l’époque viking", a-t-elle déclaré.

Sur le site de Kaupang, près de la moitié des tombes sont des tombes de femmes et elles sont placées dans l'environnement de la même manière que celles des hommes. Selon Marianne Moen, cela montre que les femmes avaient aussi du pouvoir et qu'elles étaient véritablement actrices au sein de la société: "L'emplacement des tumuli repose en grande partie sur la position qu'occupaient les défunts à leur époque, et nous ne voyons aucune différence majeure entre la manière dont les femmes et les hommes sont enterrés, ni  même par les objets qu'ils ont avec eux dans leur tombe."

Elle pense que les représentations stéréotypées de genre, entre autres dans les sagas, influencent notre perception de la relation entre hommes et femmes à la fois à l'Âge Viking et au Moyen Âge. "Nous sommes habitués à croire que le pouvoir des femmes était lié à la cuisine et aux quatre murs de la maison. Mais si vous regardez ce que les femmes avaient dans leurs tombes à l’époque viking, alors ce n’est pas si différent de ce que les hommes emportaient avec eux."

Bien au contraire, les matériaux provenant des tertres funéraires présentent un degré élevé de similitude entre les femmes et les hommes. "Si nous ne tenons pas compte des armes typiques des tombes masculines et des bijoux dans les tombes des femmes, il s'avère que les tombes ont souvent beaucoup en commun", a expliqué Marianne Moen. "Par exemple, hommes et femmes étaient enterrés avec des haches et des faucilles, ce qui indique une plus grande égalité à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du foyer que ce que nous avions cru jusqu'ici. En outre, des marchandises ont été retrouvées dans des tombes féminines, ce qui montre que les femmes ont également participé à ce type d'activité."

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