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Science des religions - Les Vikings se croyaient-ils surveillés par leurs dieux?

De nos jours, le nom de "Thor" évoque pour la plupart l'image sur grand écran d'un Chris Hemsworth bien musclé, jouant un super-héros inspiré de la mythologie nordique. À l'Âge Viking, le dieu du Tonnerre fut peut-être aussi admiré pour ses grandes prouesses physiques - mais sûrement pas pour sa force morale.

De nouvelles recherches ont montré que les Vikings ne se tournaient pas vers leur panthéon de dieux pour leurs valeurs morales, comme ils ne s'attendaient pas non plus à ce que les dieux punissent ceux qui commettaient des transgressions. Toutefois, en dépit de l'absence de dieux moraux et omniscients, les Vikings développèrent une société complexe. Ce serait la démonstration que même la croyance en de plus petites déités pouvait stimuler la coopération humaine, d'après une étude publiée en décembre 2018 dans la revue Religion, Brain & Behavior.

"Du point de vue des Vikings, il semble y avoir eu un certain nombre d'êtres surnaturels qui facilitaient la coopération", a déclaré un des auteurs de l'étude, Ben Raffield, archéologue à l'université d'Uppsala en Suède.

 

De la fiabilité des sources écrites

Thor, Odin, Freyja et les autres dieux nordiques sont des noms bien connus, encore aujourd'hui, mais déterminer ce que les Vikings pensaient réellement d'eux reste une affaire délicate. Avant l'arrivée des missionnaires chrétiens et de voyageurs vers l'an 800 environ, les Scandinaves n'avaient pas écrit grand-chose à ce sujet.

Les sagas, poèmes et ballades qui relatent les histoires du panthéon nordique furent tous rédigés relativement tard, entre le XIIème et le XIVème siècle, a rappelé Ben Raffield. Et ce sont les chrétiens ou les personnes qui étaient entrés en contact avec eux qui mirent par écrit ces récits - ce qui signifie qu'il est difficile de dire si des valeurs chrétiennes n'y ont pas été mêlées.

Toujours est-il que les sagas et les poèmes donnent des informations sur les croyances scandinaves pré-chrétiennes, selon Ben Raffield, en particulier lorsqu'ils sont combinés à des preuves archéologiques. Avec ses collègues, ils ont donc analysé des artefacts vikings courants et quantité de textes, parmi lesquels l'Edda poétique, l'Edda en prose, plusieurs sagas et récits de voyages.

 

Les Vikings, une étude de cas intrigante

L'étude s'inscrit dans un plus vaste débat anthropologique en cours, sur la coopération, la complexité sociopolitique et les convictions religieuses.

Certains travaux extraits d'études en Histoire et en Psychologie ont établi qu'un ou plusieurs dieux peuvent maintenir une cohésion entre les individus par la menace d'une sanction divine, renforçant ainsi la coopération, même entre étrangers. Mais si cela est vrai, on ne sait pas vraiment si un "grand" dieu, comme le dieu omniscient des religions juive, musulmane et chrétienne est nécessaire, ou bien si une quelconque idée d'être surveillé par des êtres d'un autre monde peut suffire.

Les Vikings constituent une étude de cas intrigante lorsqu'il s'agit justement de déterminer si un ou plusieurs dieux peuvent aider à faciliter le développement d'une société complexe, car d'importants changements sont intervenus entre 750 et 1050 environ. Au début de cette période, la Scandinavie était peuplée par de petits clans. À la fin, c’était une société hiérarchisée de royaumes, avec  des politiques et des lois, capable de lancer des expéditions maritimes jusqu’en Amérique du Nord.

Ben Raffield et ses co-auteurs ont voulu savoir si les valeurs morales incarnées par des déités supérieures, ou des dieux "uniques" comme le Dieu de la Bible, furent nécessaire à cette transformation.

 

Des dieux nordiques pas si puissants

Ragnarök - Illustration Valentina MustajarviLes sagas, poèmes et artefacts des anciens Scandinaves témoignent du fait que les Vikings croyaient en des êtres surnaturels qui les observaient. Ils prêtaient serment devant les dieux et portaient parfois des anneaux dédiés au dieu Ullr. Certains casques de guerre portaient un œil en or et grenat représentant l'œil du dieu Odin. Des contrats scandinaves mentionnaient les dieux, et les personnages dans les sagas qui n'avaient pas réussi à faire des sacrifices aux dieux mouraient souvent de manière maladroite, comme s'empaler sur sa propre épée.

Toutefois d'après Ben Raffield, les dieux vikings ne semblaient pas être de "grands" dieux. Ils n'étaient pas suprêmement puissants. Bien au contraire, la mythologie nordique soutient qu'ils n'étaient ni immortels, ni omnipotents, puisque condamnés à mourir dans un cataclysme appelé les Ragnarök. Dans la cosmogonie nordique, ils n'étaient pas même les premiers êtres, d'après la Gylfaginning (cf. Edda de Snorri Sturluson) Odin et ses frères furent engendrés par Burr, fils de Buri (né des blocs de givre dont se nourrissait la vache Audhumla), et la géante Bestla.

Quant à la moralité de ces premiers dieux, elle est très discutable. "Ils pouvaient punir ou non ceux qui violaient les normes sociales et, dans certains cas, ils créaient activement des situations conçues pour nuire aux humains, sans autre raison que parce qu'ils étaient en capacité de le faire, car c'est ce qui les rendait puissants", a expliqué Ben Raffield, avant d'ajouter: "Ainsi, il semble qu'ils ne se préoccupaient pas particulièrement de faire respecter les normes morales ou de punir les hommes qui les bafouaient."

 

De la coopération humaine sans dieux?

De ces découvertes, Ben Raffield en a conclu que de grands dieux omnipotents n'étaient pas nécessaires pour qu'une société devienne plus complexe. 

Elles mettent également en évidence un système de croyance très différent de la plupart des grandes religions dans le monde. En effet, les Vikings croyaient aussi en un certain nombre de forces surnaturelles mais non divines, a précisé Ben Raffield, telles que des elfes, des nains, des ogres, des trolls et des géants - chacun pouvant se mêler des affaires humaines. "Il était sage de veiller à ne mettre en colère aucun d'entre eux si vous vouliez vivre jusqu'à un âge avancé, mais, encore une fois, rien n'indique que ces êtres auraient pu vous imposer un code de conduite quelconque, ni qu'ils en suivaient un eux-mêmes.",

En fait, l'étude souligne que les Vikings ne percevaient peut-être pas les dieux comme le facteur le plus important de leur succès ou de leur échec. Le concept de "destin" était sans doute plus important. En ce sens, un ensemble de divinités féminines, les dises, était censé influer sur le destin d'une personne en la privilégiant ou en la négligeant; certaines jetaient des sorts ou tissaient des vêtements pour déterminer les événements de la vie d'une personne. "Alors, il se pourrait que les dieux aient eu moins d'influence que nous ne nous l'imaginons aujourd'hui", a constaté Ben Raffield.

Suivant le même type de valeurs morales, les dieux grecs et romains se montraient tout aussi capricieux et amoraux, a souligné l'auteur, mais ces deux sociétés étaient extrêmement complexes. Aussi, il en est venu à penser que toute sorte de dieu peut-être serait en mesure de susciter une coopération généralisée, ou même que des forces surnaturelles ne seraient peut-être pas si fondamentales pour la complexité d'une société après tout. "J'aimerais certainement pouvoir penser que les humains ont la capacité de vivre et de travailler ensemble sans compter sur l'intervention d'êtres surnaturels, mais je ne suis en aucun cas qualifié pour apporter une réponse sur ce point."

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