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Science - Le fimbulvetr, le long et rude hiver de la mythologie nordique, n'est pas une affabulation

Fimbulvetr, le long et rude hiver qui annonce les Ragnarökr, la fin du monde dans les croyances de l'Âge Viking, a réellement eu lieu. La moitié environ de la population norvégienne et suédoise est décédée lorsqu'il s'est produit. Les chercheurs en savent à présent davantage sur l'année catastrophique de 536.

"D'abord, [...] arrivera un hiver qui s'appelle Fimbulvetr. Alors, des tourbillons de neige tomberont de toutes les aires du vent. Il y aura froid rude et vents mordants, et le soleil ne luira point. Il y aura trois hivers d'affilée, pas d'été entre-temps. [...] Il y aura grandes batailles dans le monde entier. Alors les frères s'entretueront par appât du lucre, et nul n'épargnera son père ou son fils en fait de meurtre ou d'inceste [...]"  (L'Edda poétique, textes présentés et traduits par Régis Boyer, éd. Fayard, p.501)

C'est ainsi que commence l'histoire du long et rigoureux hiver, appelé Fimbulvetr en norvégien (de fimbul, "grand", et vetr, "hiver", ce qui signifie "grand hiver"), présent à la fois dans la mythologie nordique et dans l'œuvre nationale finlandaise de poésie épique, le Kalevala. Mais pourquoi le récit d'un tel événement se retrouve annonciateur de la fin des temps dans les mythologies du nord de l'Europe?

Ces dernières années, des chercheurs norvégiens et suédois ont amassé des quantités de preuves toujours plus flagrantes qu'un enchaînement de catastrophes a bel et bien frappé la planète il y a 1500 ans. Si la Norvège et la Suède ont été durement touchées, la même chose s'est probablement produite dans les pays Baltes, en Pologne, jusque dans le nord de l'Allemagne.

 

L'intuition d'un paléopalynologue tombée dans l'oubli

Le loup Sköll avalant le soleil durant les Ragnarök - Illustration: Louis MoeEn 1910, le géographe et chercheur suédois, Rutger Sernander, fut l'un des pionniers de la paléopalynologie [étude des grains et des spores fossiles]. Il avanca pour la première fois l'idée selon laquelle le Grand Hiver aurait pu véritablement se produire dans les pays nordiques. Son hypothèse reposait sur l'avènement d'une catastrophe climatique survenue il y a 2000 ou 2500 ans.

Pendant quelques années, les gens portèrent quelques intérêt à Sernander et ses idées. Mais le doute s'installa, car les archéologues ne parvenaient pas à trouver les traces d’une catastrophe aussi ancienne.

Il en est tout autrement de nos jours: les chercheurs savent désormais avec certitude qu'une catastrophe climatique a réellement frappé le monde - et en particulier les pays nordiques - il y a tout juste 1500 ans. Et ils savent qu'elle a probablement été suivie d'une autre catastrophe qui a bien pu s'avérer tout aussi terrible.

 

La NASA et un archéologue suédois

Les nouvelles études sur le Grand Hiver commençèrent avec l'agence spatiale américaine en 1983. À cette époque, deux scientifiques de la NASA, Richard Stothers et Michael Rampino, publièrent une synthèse des éruptions volcaniques connues dans l'Histoire. Une grande partie de leur travail se basait sur des carottes de glace extraites des couches anciennes de la calotte polaire au Groenland.

Des archéologues lurent leur article et comprirent que quelque chose de particulièrement dramatique avait dû se produire en 536. 

Bo Gräslund, professeur émerite d'Archéologie à l'Université d'Uppsala en Suède, fut le premier à suggérer que le Fimbulvetr avait réellement eu lieu et qu'il devait s'être déroulé au cours des années qui suivirent l'an 536. Il souligna également que l'historien islandais du XIIIème siècle Snorri Sturluson, dans son livre l'Edda, n'était pas seulement préoccupé par le fait qu'il faisait très froid et qu'il y avait beaucoup de neige mais aussi inquiet qu'il n'y eut pas d'été pendant plusieurs années consécutives.

 

Plusieurs années sans été

Le Grand Hiver signifiant donc plusieurs années consécutives sans été, il y a nécessairement eu des conséquences - sur lesquelles il n'est possible que de spéculer- pour les gens qui vivaient dans le Nord il y a 1500 ans. 

Gräslund fut là également le premier à estimer que la population de la Suède avait été divisée par deux au VIème siècle.

Dans les premiers temps, peu de personnes accordèrent du crédit à l'hypothèse de Gräslund. En 2007, il publia l'article Fimbulvintern, Ragnarök och klimatkrisen år 536–537 e. Kr. ("L'hiver Fimbul, les Ragnarök et la crise climatique en 536-537 après JC") dans la revue suédoise Saga och sed. Après quoi, les chercheurs et les archéologues commencèrent à se pencher sur le sujet pour de bon, et finirent par faire des découvertes.

 

Une vie réduite à sa plus simple expression

Ces dernières années, les découvertes se sont multipliées et suggèrent toutes clairement que Bo Gräslund avait raison. En Norvège, du pollen a été trouvé au fond de plusieurs tourbières, prouvant qu'un événement dramatique est venu modifier en profondeur l'environnement longtemps encore après qu'il se soit produit. L'analyse des cernes d'arbres fossiles fournit des indications supplémentaires qui viennent corrobor les faits.

Depuis que les archéologues savent quoi chercher, ils découvrent également de plus en plus d'indices dans le matériel qu'ils mettent au jour et constatent à présent que quelque chose d'absolument dramatique est arrivé aux fermes en Norvège et en Suède il y a 1500 ans.

Les gens ont déménagé. Ou bien disparu. Quasiment aucune tombe de cette période n'a été découverte. Il n'existe pas non plus de bijoux fabriqués durant cette période, et l'or pourrait avoir été offert en sacrifice aux dieux. Même les traditionnelles et superbes poteries de l'ouest de la Norvège restent introuvables. La vie semble tout bonnement avoir été réduite à sa plus simple expression.

 

Les gens ont quitté les montagnes

Per Sjögren travaille en tant que paléoécologue au Musée de l'Université de Tromsø. Dans le cadre d'un important projet de recherche qui étudiait les changements dans l'écosystème montagnard norvégien, Sjögren et ses collègues atterrirent eux aussi sur la piste du Fimbulvetr en Norvège.

Dans les échantillons de pollen prélevés dans le sol marécageux d'une montagne, ils purent observer les traces nettes d'un événement climatique dramatique survenu il y a 1500 ans. 

"Nous avons trouvé les premières traces du Grand Hiver dans le nord de la Norvège. En définitive, nous avons découvert la même chose dans le sud de la Norvège", explique Sjögren. "Nous avons vu que la nature avait repoussé. Que les gens et les animaux avaient dû abandonner les cultures et l'environnement qu'ils connaissaient jusque là dans les montagnes."

 

Les arbres ont gagné du terrain

Kari Loe Hjelle, professeure d'Histoire naturelle à l'Université de Bergen, s'est intéressée au diagramme élaboré par les paléoécologues lorsqu'ils ont examiné les quantités de pollen d'herbe et d'arbre emprisonné dans le sol de Storesætra, à Stryn. Il s'agissait d'une ferme, ou d'un pâturage, juste en dessous de Jostedalsbreen, dans une zone que les gens exploitent depuis l'Âge de Pierre. 

Le diagramme montre clairement comment les gens utilisait ce pâturage entre l'an 0 et le VIème siècle. Les pollens analysés montrent qu'il y avait beaucoup d'herbes et d'arbustes. Mais quelque chose est arrivé au cours du VIème siècle. Le pollen de graminées diminue considérablement tandis que les arbres gagnent du terrain.

Par ailleurs, les poussières de charbon fournissent d'autres indices sur la manière dont les gens interagissaient avec leur environnement. Or, celles-ci aussi ont disparu de Storesætra au cours du VIème siècle.

 

Une dévastation massive des fermes en Norvège

Frode Iversen est professeur d'Archéologie au Musée d'histoire culturelle d'Oslo. "Depuis les années 1960, les archéologues norvégiens savaient qu'il y avait eu une dévastation massive des fermes en Norvège à partir du milieu du VIème siècle. C'est un phénomène connu, en particulier dans le comté de Rogaland", rappelle-t-il. 

Mais pourquoi les fermes ont-elles été détruites et abandonnées?

Les chercheurs spéculaient que la peste de Justinien qui avait frappé le monde à cette époque était également arrivée jusqu'en Norvège. "Depuis des décennies, les archéologues norvégiens accordaient beaucoup de crédit à cette hypothèse. Depuis lors, nous ne nous étions pas beaucoup penché sur le sujet, jusqu'à ce que cela redevienne d'actualité grâce à la nouvelle théorie de Bo Gräslund sur le Fimbulvetr", explique-t-il.

Iversen et ses collègues ont donc remédié à cela en synthétisant une grande partie de ce qu'ils savaient du Grand Hiver en Norvège dans certains des chapitres de leur livre The Agrarian Life of the North 2000 BC–AD 1000​ ("La vie agraire du Nord de 2000 avant JC à 1000 après JC"). Il est disponible (en anglais) gratuitement sous forme de livre PDF chez Cappelen Damm ici. Et leur conclusion fut identique: "Nous constatons une très forte baisse de l'activité en Norvège au VIème siècle."

 

Près de 90% de découvertes en moins

Morten Vetrhus a rédigé sa thèse de maîtrise à l'Université de Bergen sur l'histoire de la transition entre la période de migration et la période mérovingienne - en d'autres termes, avant et après 550.

Il fait état d'une forte diminution du nombre de sites où les archéologues réussirent à trouver quelque chose d'intéressant, ce qui représente jusquà 70% de découvertes archéologiques en moins. Cette baisse dans le Rogaland, en Norvège, au cours de la même période de transition est encore plus importante et atteint même 87%.

Ceci malgré le fait que la période mérovingienne ait duré cent ans de plus que la période de migration. Même dans une zone fertile comme Jæren, certaines parties du paysage étaient complètement vierge de la présence de toute personne. "Il s'agit d'une très forte baisse. Qu'est-il arrivé à ces gens? Pourquoi cessons-nous de trouver tout témoignage de vie?", s'interroge Iversen.

Ce changement pourrait sans doute être attribué à de nouvelles coutumes funéraires. Néanmoins, il se pourrait tout aussi bien que la cause en soit les effets combinés de fléaux qui s'abbatirent en chaîne entre 536 et 541.

 

Une classe moyenne amenée à prospérer

Iversen pense qu'une stratégie développée pour faire face à la crise fut d'abandonner les petites exploitations agricoles les moins productives. En lieu et place, les plus grandes terres occupant une position plus centrale ont été divisées en unités de production plus petites.

Le manque de main-d'œuvre a dû rendre difficile, en particulier dans le Rogaland et probablement ailleurs dans le reste de la Norvège, le maintien des exploitations agricoles au niveau où il se trouvait avant la catastrophe du VIème siècle.

Iversen s'est également demandé si le nombre important de morts n'aurait pas rendu plus de terres disponibles pour les personnes ayant survécu. Cela pourrait expliquer pourquoi, vers la fin du VIème siècle, les archéologues trouvent des traces d'activités agricoles en Norvège qui relèvent davantage de l'élevage. C'est du moins, d'après d'autres historiens, un phénomène similaire à ce que qu'il s'est passé après la peste noire vers 1350.

En outre, de nouveaux centres de pouvoir ont aussi commencé à émerger en Norvège après la catastrophe. Le plus grand tertre funéraire des pays nordiques, Raknehaugen ("le tumulus de Rakni") à Ullensaker, dans le comté d'Akershus (où se trouvait autrefois le Royaume de Raumarike) reflète probablement ce phénomène. Il devait rester moins de personnes puissantes dans le pays, mais ceux qui ont survécu auraient bien pu bénéficier d'un plus grand rayonnement et devenir encore plus puissants qu'avant la catastrophe. Les archéologues ont trouvé des témoignages du même phénomène en Suède.

Iversen est certain que la catastrophe a également eu un impact majeur sur les structures sociales en Scandinavie. D'après lui, ce sont les couches supérieures et inférieures de la société qui auraient été le plus durement touchées par la catastrophe. En conséquence, après la catastrophe, c'est la "classe moyenne" qui a prospéré. Et avec cela, une société où les gens étaient plus égaux qu'auparavant.

 

L'art de l'orfèvrerie disparaît

Ingunn Røstad, chercheur au Musée d'Histoire culturelle à l'instar de Frode Iversen, a découvert que les vêtements et les bijoux utilisés par les personnes de l'Âge du Fer aux VIIème et VIIIème siècle étaient plus simples et de moindre qualité qu'avant le début du VIème siècle.

"Les bijoux en or fin et en argent étaient moins courants", rapporte Iversen avant d'ajouter: "Les bijoux fabriqués sont devenus plus simples. Il semble presque 'fait maison'."

Au Danemark, l'archéologue Morten Axboe relève que de grandes quantités d'or et d'autres bijoux en métaux précieux ont été offerts en sacrifice juste après le fléau climatique. D'après lui, ces sacrifices étaient l'acte de personnes désespérées qui cherchaient à apaiser les puissances divines et leur demandaient de ramener le soleil dans le ciel.

 

Entre catastrophe climatique et peste

Iversen s'est ensuite demandé si l'important taux de mortalité au sein de la population résultait de la catastrophe climatique seule ou bien - comme de plus en plus de scientifiques ont tendance à le croire- d'une combinaison entre un phénomène climatique et une grave épidémie.

Alors que la peste de Justinien a frappé l'Europe du Sud en l'an 541, rien ne prouvait qu’elle ait également atteint les pays nordiques. Mais des chercheurs ont récemment pu établir, d'après des sépultures mises au jour en Allemagne, que l'épidémie s'est étendue plus au Nord. Il n'est donc pas improbable qu'elle ait également pu frapper la Norvège.

La bactérie du VIème siècle - Yersina pestis - est la même qui frappa l'Europe pendant la peste noire qui sévit au XIVème siècle. Dans la vaste ville de Constantinople, on estime qu'environ 40% des habitants sont morts lors de la peste de Justinien au cours des années 541 et 542.

 

Avec le froid, les puces se sont rabattues sur les gens

L'un des principaux laboratoires de recherche sur la peste dans le monde se trouve aujourd'hui à l'Université d'Oslo, sous la direction du professeur Nils Christian Stenseth. Les chercheurs ont déterminé que la bactérie de la peste avait été importée en Europe à maintes reprises. Ils ont également constaté que le climat avait beaucoup à voir avec le développement de la peste.

Lorsque le climat est devenu plus froid, les rats sont morts et les puces porteuses de la bactérie ont dû se rabattre sur les gens. "Si nous voulons trouver des traces de la peste sur des personnes qui remontent au VIème siècle, mon conseil est d'analyser les squelettes dans le nord de la Norvège", recommande Iversen à ce sujet. 

Le climat est plus froid dans le nord de la Norvège et les squelettes sont mieux conservés. De plus, certains ossements dans le nord de la Norvège se trouvent dans du sable calcaire qui favorisent également la conservation du matériel archéologique. Malgré tout d'après Iversen, les scientifiques auront besoin de beaucoup de chance pour trouver des bactéries de la peste chez des personnes qui vivaient il y a 1500 ans.

 

Du côté de la Suède, le Norrland entièrement dépeuplé

Pour trouver d'autres pièces manquantes au puzzle du Grand Hiver, il faut également chercher du côté de la Suède.

Ces dernières années, plusieurs chercheurs se sont intéressés à ce que les scientifiques suédois appellent couramment "l'Événement de 536". Les archéologues suédois, qui savent eux aussi désormais ce qu'ils doivent chercher de cette période, ont trouvé comme leurs homologues norvégiens des preuves de la catastrophe.

Les archéologues ont noté qu'un grand nombre de fermes suédoises furent abandonnées au milieu du VIème siècle. De vastes zones où les animaux broutaient auparavant furent repeuplées par des arbres - tout comme en Norvège. La partie nord de la Suède appelée Norrland, l'une des trois grandes régions historiques de la Suède, pourrait même avoir été complètement dépeuplée par ces habitants.

 

Deux éruptions volcaniques

Fredrik Charpentier Ljungqvist est à la fois historien et climatologue à l'Université de Stockholm. "Il est maintenant clair d'après les recherches archéologiques suédoises que peut-être jusqu'à 50% de la population disparut du Mälardalen, de l'Öland et de Gotland. Près de la moitié de tous les bâtiments furent abandonnés", rapporte-t-il.

Les climatologues pensent qu'une énorme éruption volcanique a eu lieu en 536. "Cela s'est probablement produit quelque part dans la partie non tropicale de l'hémisphère nord. L'éruption a provoqué l'envoi de grandes quantités de cendres dans l'atmosphère", précise-t-il.

Cet événement a été suivi d'une autre catastrophe volcanique encore plus grande en l'an 540. D'après le spécialiste, "cela a dû se produire quelque part près de l'équateur. C'était peut-être le volcan El Chichón dans le sud du Mexique."

Les fines particules des deux éruptions volcaniques sont restées dans l'atmosphère pendant plusieurs années, entraînant un important refroidissement du climat dans l'hémisphère nord. Ljungqvist souligne qu'il existe maintenant un certain nombre d'études sur les anneaux de croissance des arbres fossiles qui le confirment. D'après lui, l'effet cumulé de deux énormes éruptions volcaniques dans les années 536 et 540 aurait rendu ce refroidissement tout à fait exceptionnel et de très longue durée. "Aujourd'hui, nous savons que c'est probablement le refroidissement le plus sévère que la Terre ait connu depuis plus de 2000 ans."

 

Du givre dans les arbres au milieu de l'été

Il faisait si froid que du givre s'est formé dans le tronc des arbres au beau milieu de l'été, comme en témoignent entre autres, des découvertes en Russie. C'est un phénomène rarissime.

"La chute des températures pourrait avoir été de 3 à 4 degrés en moyenne durant l'été 536 et un peu moins les années qui suivirent. Le refroidissement a repris en l'an 540. Cela peut ne pas sembler beaucoup. Mais il ne faisait pas froid partout de la même façon tout au long de l'été. Certaines périodes estivales étaient probablement très froides, tandis qu'à d'autres moments les températures devaient sans doute être normales", spécifie le climatologue.

Le faible ensoleillement devait poser un autre problème. La lumière du soleil ne pouvait pas pénétrer la couche de cendres dans l'atmosphère. Sans soleil, les plantes mourraient. Les gens n'étaient pas en mesure de cultiver de quoi se nourrir, ni de faire pousser du foin pour leurs animaux.

Ljungqvist observe encore que les étés froids après 536 semblent avoir connu, à certains endroits, de fortes précipitations. Le grain murissait, mais pour rapidement pourrir.

 

Puis vint la peste

Il n'y a pas de sources écrites dans les pays nordiques au VIème siècle. Mais en Italie, en 536, l'historien Flavius ​​Cassidorus parle d'un ciel plein de nuages ​​sombres et d'un ensoleillement qui ne dure que quelques heures par jour. À Constantinople, l'historien Prokopios parle d'un soleil longuement éclipsé. En Irlande, il y a des récits de famine. En Chine, il existe des sources écrites qui parlent de neige au milieu de l'été. 

C'est alors qu'en l'an 541, la peste de Justinien arrive en Europe. "En Europe du Sud, nous savons que cette épidémie de peste fut aussi brutale que la peste noire 800 ans plus tard. Il existe de nombreuses preuves que la peste du VIème siècle atteignit également l'Europe du Nord, bien que nous ne disposions pas de sources écrites qui la décrivent", fait valoir Ljungqvist.

En 2013, des scientifiques allemands ont en effet pu confirmer que trois personnes enterrées dans ce qui est aujourd'hui l'Allemagne, avaient été infectées par la bactérie Yersina pestis au cours de la période concernée. Si la peste a atteint le nord des Alpes, il est probable selon Ljungqvist qu'elle ait également atteint la Scandinavie. "La combinaison entre le refroidissement dramatique du climat et la peste de Justinien ont peut-être créé pour les gens, un désastre qui fut encore plus grave que la peste noire."

Fredrik Charpentier Ljungqvist a publié un livre scientifique très populaire en Suède, Klimatet och männskan under 12000 år ("Du Climat et des Hommes durant 12000 ans"), et il a également co-écrit un article scientifique en 2016 dans la revue Nature Geoscience. Dans ce dernier, les chercheurs désignent la période de 536 à 660 sous le nom de 'Petit âge glaciaire de l'antiquité tardive'.

 

Un moment étrangement calme

En Norvège, les siècles précédant l'an 550 sont désignés sous les termes de 'période de migration'. La période après 550 et jusqu'en l'an 800 est appelée 'période mérovingienne'. Vient ensuite l'Âge Viking. Le passage de la période de migration à la période mérovingienne vers l'an 550 marque également la transition du premier Âge du Fer vers le second Âge du Fer. C'est donc au moment de cette transition que la catastrophe s'est produite.

Un article sur la période mérovingienne (550-800) publié sur Norgeshistorie.no est intitulé Hundre års tystnad, qui se traduit par "Cent ans de silence". L'auteur de cet article, Per Ditlof Fredriksen, est professeur agrégé au Département d'Archéologie, de Conservation et d'Histoire de l'Université d'Oslo.

Fredriksen considère la première partie de cette période historique comme une période étrangement calme en Norvège. Il note lui aussi, comme Iversen du Musée d'Histoire culturelle, que les découvertes archéologiques en Norvège sont rares entre 550 et 650. Il semble que les gens n'arrêtent pas seulement de construire des maisons et d’enterrer leurs morts, mais aussi qu'ils oublient comment fabriquer les outils importants, ceux qui étaient pourtant d'une nécéssité absolue.

Ce n'est que vers l'an 650 que les archéologues constatent que la vie humaine en Norvège commence à redevenir normale. Une grande partie de la technologie semble nouvelle au cours de cette époque, beaucoup de connaissances ayant visiblement disparu. Par exemple, les gens ont commencé à travailler le fer d'une toute nouvelle façon.

Dans le Rogaland et dans les environs, jusqu'à la catastrophe d'il y a 1500 ans, il y avait de nombreux orfèvres qualifiés. Mais plus aucune trace d'eux, ni de leur artisanat par la suite. La même chose est arrivée aux nombreux et talentueux potiers qui vivaient dans l'ouest de la Norvège avant la période mérovingienne, de Jæren au sud à Sogn au nord. Il faudra patienter encore 1000 ans avant que d'aussi fines poteries soient fabriquées en Norvège.

 

El Chichón, désigné coupable

Le cratère du volcan El Chichón, responsable du fimbulvetr,  après sa dernière éruption en 1982 -Photo: Science Photo LibraryLes carottes de glace retirées de l'inlandsis du Groenland ont fourni aux chercheurs la preuve qu'il y avait bien eu successivement deux éruptions volcaniques d'envergure à l'origine du Grand Hiver.

Le volcan Ilopango au Salvador aurait été le reponsable de la première catastrophe en 536 pour certains, et pour d'autres il s'agirait du Krakatau en Indonésie. Cependant, d'après ce que les chercheurs savent aujourd'hui, Ljungqvist estime qu'El Chichón, dans le sud du Mexique, est à l'origine de la catastrophe climatique.

Le 28 Mars 1982, lors de sa dernière éruption, El Chichón s'est avéré être encore un volcan mortel. Les coulées pyroclastiques et les pluies de cendres ont fait 3 500 victimes et ont coûté la vie à 2000 personnes. Avant cela, le volcan n'était pas entré en éruption depuis 1360 et les gens n'étaient pas préparés au réveil du géant endormi.

De nos jours, il ne fait plus aucun doute que les cendres libérées par les volcans dans l'atmosphère peuvent grandement affecter le climat de la Terre. Plus les cendres atteignent une altitude élevée, plus l'effet dure longtemps. Le pire étant lorsque les cendres atteignent la stratosphère, soit des altitudes supérieures à 10 000 mètres au-dessus du niveau de la mer, l'altitude où se situe la majeure partie du trafic aérien.

 

Les éruptions volcaniques de grande envergure ne sont pas si rares

Dans un rapport de 2013, le Groupe d'experts des Nations Unies sur le climat (GIEC) souligne la façon dont le changement climatique au cours des 2000 dernières années a pu être affecté par les volcans. Une grande partie des connaissances que les chercheurs ont acquis de nos jours sur les effets des éruptions volcaniques dans le temps proviennent des carottes de glace prélevées au Groenland et en Antarctique.

Les chercheurs à l'origine du rapport du GIEC ont constaté qu'il n'y a eu que 200 ou 300 ans depuis l'Âge Viking sans éruptions volcaniques majeures au point d'affecter le climat de manière significative. Le fait que tout le siècle dernier, le XXème siècle, n'ait pas connu de gigantesques éruptions volcaniques a peut-être contribué à ce que peu de personnes soient en capacité d'imaginer que cela pourrait se produire à nouveau.

Et cela se reproduira certainement. D'énormes éruptions volcaniques qui affectent le climat sur une longue période ne sont pas très rares en fait. Il est courant que le climat et la température de la Terre soient affectés pendant un à trois ans après une énorme éruption volcanique, selon la quantité de cendres et l'altitude qu'elles atteignent dans l'atmosphère.

Si plusieurs de ces gigantesques éruptions volcaniques devaient se produire d'affilée - comme cela a probablement été le cas entre 536 et 540 - l'impact sur le climat serait encore plus grand. Et si cela se reproduit de nos jours, il y aura bien plus de gens sur Terre qui auront besoin de nourriture.

D'un autre côté, la société est beaucoup mieux préparée à ce type de catastrophe. Il serait possible de transporter de la nourriture et surtout tout ce dont nous avons besoin sur de longues distances. Les gens qui vivaient dans la glaciale Norvège il y a 1500 ans ne pouvaient pas faire cela. Ils étaient totalement dépendants de la nourriture qu'ils cultivaient et des animaux qu'ils élevaient eux-mêmes.

 

1816, "L'année sans été"

L'année 1816 est connue sous le nom de "l'année sans été". Ce fut une année exceptionnellement froide en Europe occidentale et dans l'est de l'Amérique du Nord. Il y eut également une quantité inhabituelle de pluie. Au printemps suivant, en 1817, les prix des céréales dans certaines parties de l'Europe ont doublé.

La principale cause de l'été inhabituellement froid de 1816 fut l'explosion du volcan Tambora en Indonésie. Mais dans les années précédant l'éruption duTambora, il y avait eu quatre autres éruptions volcaniques majeures, qui avaient toutes craché beaucoup de cendres dans l'atmosphère.

La catastrophe naturelle de 1816 n'était guère de la même ampleur que la catastrophe de 536. Elle était néanmoins grave. Il convient donc de noter que les conséquences n'étaient pas du tout les mêmes, d'autant plus qu'il y a 200 ans, le monde entrait dans la modernité.

En 1816, le commerce international prenait de l'ampleur. Les navires pouvaient transporter beaucoup de nourriture. Les personnes en détresse pouvaient aller en Amérique et beaucoup sont parties. Plusieurs pays ont mis en place une sorte de système de protection sociale en mesure d'aider les plus démunis. Les systèmes nationaux de santé publique et l'hygiène des gens s'étaient suffisamment améliorer pour prévenir les épidémies de peste et autre pandémies.

Si les mythes comme celui du Fimbulvetr trouvent leur fondement dans la réalité, l'heure des Ragnarök n'a pas encore sonné.

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