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Norvège - Quand les ustensiles de cuisine des hommes de l'Âge Viking renversent les stéréotypes de genre

Les scientifiques s'imaginent souvent que les rôles des hommes et des femmes à l'époque viking étaient clairement différenciés. Et s'ils faisaient fausse route? Une archéologue norvégienne pense que le passé est souvent mal interprété et vient questionner les représentations culturelles modernes sur les rôles de genre.

D'après Marianne Moen, les rôles de genre à l'époque viking n'étaient pas aussi différenciés qu'on pourrait le penser. "Je pense que nous devons cesser de faire une distinction entre les rôles des hommes et des femmes pendant la période viking", a-t-elle déclaré. Ses recherches montrent que les hommes et les femmes des classes supérieures étaient généralement enterrés avec le même type d'objets, y compris des ustensiles de cuisine. 

 

Marianne Moen, qui a terminé son doctorat à l'université d'Oslo sur les rôles de genre à l'Âge Viking, a examiné le contenu de 218 tombes vikings du Vestfold, un comté situé au sud-ouest du fjord d'Oslo, et a trié les objets qu'elle a trouvés en fonction de leur type. De nombreuses sépultures étaient richement équipées, de coupes et d'assiettes aux chevaux et autres animaux d'élevage. [ cf. Les femmes vikings, puissantes autrefois, dangereuses aujourd'hui]

 

La cuisine n'était pas l'apanage des ménagères

Norvège - Une coupe de l'Âge Viking, en pierre ollaire,  un matériau très utilisé pour les ustensiles de cuisine, trouvée à Kaupang, Vestfold - Photo: Eirik Irgens Johnsen / UiOLes archéologues supposent généralement que les femmes vikings étaient responsables de la maison et du foyer, tandis que les hommes étaient marchands ou guerriers.

Cependant, les ustensiles et les objets liés aux tâches ménagères étaient répartis de manière assez égale entre hommes et femmes dans les tombes du Vestfold. "La clé est un bon exemple. Elle est souvent considérée comme le symbole d'une femme au foyer", a expliqué la chercheuse. Pourtant, presque autant de tombes d'hommes que de tombes de femmes possédaient des clés. "Il est peut-être temps de changer un peu la donne" a-t-elle lancé.

Les hommes étaient tout aussi susceptibles d'être enterrés avec des ustensiles de cuisine que les femmes. Dix tombes contenant des ustensiles de cuisine étaient des tombes d'hommes et huit de femmes. Bien que d'autres interprètent cela différemment, Marianne Moen pense que cela signifie que les hommes s'occupaient aussi de préparer à manger: "Suivant mon interprétation, le matériel de cuisine est la marque de l'hospitalité. C'était très important à l'époque viking."

 

Les ustensiles ne font pas le cuisinier

Le bateau de Gokstad, le grand navire exposé au musée des Bateaux vikings à Oslo, constituait la sépulture d'un homme et contenait également une vaste gamme d'ustensiles de cuisson. "Ces découvertes ont souvent été justifiées par le fait que les hommes devaient préparer leur propre nourriture lors de longs voyages", a rappelé Moen. Mais tout le monde n'est pas d'accord avec son interprétation. 

D'après Frans-Arne Stylegar, le fait que des hommes aient choisi d'emporter des ustensiles de cuisine dans l'au-delà ne signifie pas nécessairement qu'ils faisaient la cuisine chez eux. Cet archéologue était auparavant le conservateur du comté de Vest-Agder, le comté le plus au sud de la Norvège. Il travaille actuellement pour le cabinet de conseil Multiconsult sur l'urbanisme et la préservation de la culture. "Il est difficile de convertir le personnage idéalisé à travers les coutumes funéraires en une authentique réalité historique. Il s'agit presque d'une question philosophique", a-t-il confié.

Marianne Moen estime également qu'il existe une différence marquée entre la vie et la mort, en ce qui concerne les rôles de genre. Mais elle n'en pense pas moins que les objets avec lesquels les gens ont été enterrés ont un lien avec la vie réelle à cette époque-là. Elle rappelle que les outils et autre équipement ne sont pas simplement des objets avec lesquels les Vikings ont été inhumés. Ces objets ont également été trouvés dans des maisons, sans qu'il soit toutefois possible de déterminer qui les utilisait.

 

Plus de 40% des tombes d'hommes contenaient des bijoux

Frans-Arne Stylegar rapporte que les archéologues avaient l'habitude de croire qu'il y avait beaucoup plus de tombes d'hommes que de femmes de l'Âge Viking en Norvège, mais ils estiment à présent que leurs nombres sont presque à égalité. 

Il considère que la thèse de doctorat de Marianne Moen a été bien menée et qu'elle démontre de manière convaincante qu'il n'y avait pas beaucoup de différence entre la façon dont les hommes et les femmes de la classe supérieure ont été enterrés au cours de l'Âge Viking. Il n'est pas supris par cette conclusion car il avait déjà étudié par le passé plusieurs tombes vikings du Vestfold. "J'ai déjà eu cette impression auparavant, mais elle le montre très clairement", a-t-il déclaré.

Cependant, et bien qu'il souligne que ce n’était pas le sujet de ses recherches, ses propres travaux dans le Vestfold le portent à croire que les agriculteurs étaient beaucoup plus soucieux de différencier les sexes dans leurs tombes que les personnes de haut rang.

Quant aux recherches de Marianne Moen, elles établissent qu'il y a encore quelques nettes différences de genre dans les sépultures de l'élite. Les hommes ont généralement des armes dans leurs tombes, tandis que les femmes ont des bijoux et des outils pour la confection textile. Néanmoins, il existe toujours plus de similitudes que de différences entre leurs tombes. Plus de 40% des tombes d'hommes contenaient des bijoux tels que des broches et des perles. Les hommes avaient également ce qui semble être des articles de toilette dans leur sépulture, y compris des pincettes et des rasoirs susceptibles d’être utilisés pour la toilette personnelle.

 

Interprétations et représentations

Marianne Moen se demande donc d'où vient l'idée qu'il existait une différenciation claire entre les sexes par le passé. D'autres chercheurs ont fait remarquer que bon nombre des objets mis au jour dans des sépultures au début des années 1900 avaient été interprétés en fonction des points de vue culturels de cette époque, de la même manière que Marianne Moen perçoit de nos jours les artefacts d'un point de vue moderne.

Elle se considère comme une archéologue du genre et veut contester certaines interprétations de la culture viking émises par d'autres archéologues. Mais elle admet qu'il peut être difficile de changer des représentations enracinées parmi les experts: "Je rencontre un peu de scepticisme. Il y a beaucoup de chercheurs qui ont des idées très arrêtées sur la question du genre en ce qui concerne les rôles liés aux tâches."

Pour partie, la raison en est selon elle qu'il est beaucoup plus facile de se rapporter à une version de l'Histoire qui correspond à nos attentes et stéréotypes modernes, "une version de l'Histoire où les hommes et les femmes ont des rôles spécifiques dans la société. 

"En général, dans les études sur l’Âge Viking, les artefacts découverts dans les sépultures sont interprétés comme étant liés à la personne inhumée dans la tombe. Cela ne doit pas changer dans le cas où les artefacts ne répondent pas aux attentes modernes de ce qu'un homme ou une femme aurait dû avoir dans sa tombe", a-t-elle conclu. 

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