IDAVOLL

OCTANTRION - Le Nord à l'Octave

Cest après plusieurs excursions à bord du quartet "Boann" et sa musique à la croisée des traditions celtiques et scandinaves, qu’Éléonore Billy et Gaëdic Chambrier forment en 2014, soit 10 ans plus tard, Octantrion.

En mettant résolument le cap vers lEurope du Nord, le duo sattache à retranscrire dans ses interprétations acoustiques toute la richesse dun patrimoine culturel unique et dune histoire millénaire forgée par les exploits de ces premiers grands navigateurs, les Vikings. Leur deuxième escale' septentrionale, fin 2021, se traduit par un album aguerri et sobrement intitulé "II" où, sous l’égide dun emblématique corbeau, les mélodies explorent quelques-uns des mythes fondateurs des sociétés pré-chrétiennes.

Entre compositions originales et reprises de morceaux anciens arrangés, Octantrion délivre un néo-folk toujours plus audacieux, osant des accents Blues, Rock et même Pop, comme autant de ponts jetés entre nos deux mondes. Idavoll vous emmène à la rencontre de ces enfants terribles de la musique nordique.

 

  •  D’où vient votre intérêt pour le folklore nordique? Qu’est-ce qui vous relie, de près ou de loin dans votre histoire personnelle, aux pays scandinaves?

Gaëdic Chambrier et Éléonore Billy - Photo: OctantrionÉléonore -  Ma passion pour la musique traditionnelle scandinave date de l’an 2000 à l’écoute d’un morceau suédois découvert grâce à un ami musicien. Dès les premières notes, j’ai senti que c’est là que j’habitais!

Violoniste de formation, j’ai très vite intégré un stage de musique suédoise. Parallèlement au violon se tenait un stage de nyckelharpa... Second choc face à la richesse de cette culture! La graine était semée, ma passion s’est enracinée au fil de toutes ces années et s’est constamment nourrie de découvertes, rencontres, recherches personnelles… Je suis partie un an en Suède pour parfaire ma pratique de l’instrument et apprendre la langue!

Rien dans mon histoire ne me reliait aux pays scandinaves, à part peut-être mon ascendance familiale normande (du côté maternel). Cependant, j’ai toujours été attirée par les paysages dénudés, parfois arides, les tons sépia ou gris, les musiques plutôt mélancoliques, les thés chauds sur peau de mouton, les cristaux de glace … et les gâteaux à la cannelle!

 

Gaëdic - Contrairement à Eléonore, je suis en lien avec la Scandinavie depuis ma plus tendre enfance. Bercé par les grandes heures de ma région natale - la Normandie - , je passais tous les jours devant la statue de Rollon (jardins de l’Hôtel de Ville de Rouen), parcourais en vélo la vallée de la Seine, ses Abbayes jadis abordées par les langskips venus de l’embouchure du fleuve, visitais régulièrement Bayeux et sa tapisserie, me familiarisais avec la toponymie issue du vieux norrois (les suffixes thuit, tot, nez, hougue, londe, raz par exemple, sont présents partout, notamment dans le Pays de Caux où j’ai grandi). J’ai habité 15 ans à quelques encablures du lieu où fût signé le traité de Saint-Clair-sur-Epte entre Charles III le chauve et Rollon …

Petit et adolescent, dès que possible, la famille mettait le cap vers la Suède, la Norvège, le Danemark, en camping-car. Mon père était fasciné par le nord. Il m’a transmis cet élan boréal.

Et pour répondre à la question initiale, même si je connaissais quelques groupes scandinaves (Bazar blå, Väsen, Gjallarhorn), c’est Eléonore qui m’a fait découvrir la richesse des musiques nordiques.

 

  • Comment a eu lieu la rencontre avec vos instruments de prédilection respectifs?

Eléonore - Dès que j’ai trouvé quelques disques de musiques suédoises à écouter, les mélodies étaient certes magnifiques mais sur certains d’entre eux, il y avait ce son si particulier, unique, énorme, explosif … c’était un violon puissance 1000!! Le nyckelharpa!!

C’était mon instrument, celui qui prendra la place du violon, celui qui m’accompagnera, et que j’accompagnerai aussi au travers de mes recherches pour y apporter des évolutions possibles … J’ai la chance d’avoir ressenti ça au moins une fois dans ma vie!

 

Gaëdic - Jouant d’un certain nombre d’instruments, je vais ici me focaliser sur le cistre basse nordique, instrument typiquement suédois. Je l’ai découvert en écoutant les fabuleux musiciens Daniel Fredriksson et Ale Carr. Je suis immédiatement tombé sous le charme du timbre grave et mystérieux de l’instrument. Et j’en ai commandé un à Ola Söderström, un des seuls luthiers au monde à en fabriquer. J’adore!!

 

  • Quelle(s) œuvre(s) musicale(s) ou musicien(s) sont des références pour vous, en termes d’inspiration?

Eléonore - J’aime beaucoup Schubert et Bach, les flûtes roumaines de Gheorghe Zamfir, les musiques illustrations de Jérémy Soule, les compositions et le jeu d’Avishai Cohen, la musique electro d’Amon Tobin, le génie de Robert Plant, l’énergie de Gojira, la sobriété de Arvo Pärt, le jeu de nyckelharpa d’Emilia Amper ou Johan Hedin, la lyra crétoise de Ross Daly et Kelly Thoma … autant de sources d’inspiration variées !

 

Gaëdic - Ce que vient de dire Eléonore est la preuve que nous nous influençons mutuellement (cf. question 1 en ce qui concerne son influence sur moi). En effet, Led Zeppelin (et par extension Robert Plant) est peut-être mon influence principale par la combinaison magique de la puissance Rock et de l’ouverture aux musiques du monde et anciennes. À part ça, je ne suis pas vraiment influencé par un musicien, un compositeur ou une oeuvre… Je suis plus touché par l’esprit, la démarche d’un projet. J’essaie toujours de tirer la substantifique moelle de ce que j’écoute et qui me plaît. J’aime être ailleurs que là où l’on m’attend…

Malgré tout, si je devais citer quelques oeuvres/compositeurs/groupes, je dirais… l’album Mighty ReArranger de Robert Plant & Strange Sensation, le drame poétique Peer Gynt d’Edvard Grieg, l’album Perichoresis de Secret Chiefs 3 & Ishraqiyun, l’album Fjalar de Groupa

 

  • La (ou le) nyckelharpa date du XIVème siècle et la plus ancienne moraharpa connue à ce jour date de 1526. Néanmoins, malgré l’absence de découverte archéologique plus ancienne, il est probable selon les chercheurs, que la vièle ait fait partie des instruments dont disposaient les Vikings, au même titre que la lyre et la talharpa, ou tagelharpa [lire sur Idavoll: La musique et les instruments à l'Âge Viking]Avez-vous déjà été tentés par une démarche de reconstitution de la musique de l’Âge Viking ? Et que pensez-vous des tentatives de recréation de cet univers sonore millénaire malgré le peu de documentation dans les sources historiques?

Eléonore et Gaëdic - Notre démarche n’est pas du tout reconstitutive. Nous ne sommes pourtant pas plus iconoclastes, à vouloir tout détruire. Notre propos est plus onirique, finalement plus inspiré par les mythes, les légendes que par les faits historiques. Le nom 'Octantrion' en est un bon exemple. Si le septentrion -7- est le nord astronomique (les 7 étoiles de la grande ourse) ou le nord poétique (“Et du sud, du couchant ou du septentrion, chaque ombre qui survient donne à l’astre un rayon” Victor Hugo), l’octantrion -8- est au-delà du nord: en imaginant la sphère terrestre, on redescend donc vers le Sud, rappel du fait que les scandinaves sont descendus en Méditerranée par l’ouest (Royaume normand de Sicile par exemple) et par l’Est (garde varangienne, ou varègue, de Constantinople).

En ce qui concerne les tentatives de recréation, il n’est pas simple d’avoir un avis tranché.

Nous parlons ici de transmission orale diluée par le temps et de documentation souvent issue de tiers… Par essence, nous aimons les gens qui recherchent, qui rêvent, qui se passionnent. Une approximation, si elle n’est pas hors de propos ou érigée en dogme/vérité absolue, n’est au pire qu’un péché véniel…

 

  • Dans l’album II, plusieurs titres, tels que Hugin, Munin ou Ragnarök , font explicitement référence à la mythologie nordique, de même que le corbeau sur la jaquette du CD. Que représentent ces anciennes croyances pour vous ? Quel dieu du panthéon nordique pourriez-vous choisir d’invoquer et pour quelles raisons? 

Gaëdic - Si nous ne sommes pas païens au sens religieux du terme, nous sommes cependant beaucoup plus sensibles à la richesse des cultures polythéistes qu’à l’évidence du Dieu unique. Ainsi, l’intrication vie/mort (le corbeau étant un intermédiaire entre les deux mondes), le fait que les êtres et les choses soient respectés en tant qu’entités dotées d’une âme (l’homme n’étant qu’un des rouages de la marche du monde orchestrée par des forces qui le dépassent et le transcendent) sont des notions bien plus “sexy” que ce que proposent les religions révélées, les religions du livre. Ces dernières sont trop parfaites, elles éloignent le divin de la vie quotidienne, elles manquent de poésie et recèlent trop de commandements…

Si nous avons choisi le corbeau comme animal tutélaire, c’est bien pour son rôle de messager (Hugin, Munin, pensée et mémoire, les yeux et oreilles du dieu Odin) et d’intermédiaire entre les différents mondes. Cet animal, sacralisé par les païens, est devenu animal diabolique dès la christianisation de la Scandinavie achevée, symbole du “spécisme moderne” qui fait de l’homme une exception dans les trois règnes (animal, végétal, minéral - je mets volontairement de côté les bactéries, les protistes et les champignons!-). C’est de cela dont parle la chanson “The dead King”, sur l’album II de Octantrion.

 

 

  • Comment se passe généralement le processus de composition? Est-ce que les partitions s’écrivent  à 4 mains?

Eléonore et Gaëdic - La plupart du temps, les compositions sont mono-sourcées! Nos processus de création respectifs sont extrêmement différents. Charge au second musicien de s’adapter à la matrice initiée par le premier. Cela tient au fait que les ferments de nos cultures musicales sont divergents (musique classique et  traditionnelle pour Eléonore, musiques actuelles pour Gaëdic).

Le challenge est de faire en sorte que les morceaux d’Éléonore, ceux de Gaëdic ainsi que les airs anciens/traditionnels forment un ensemble harmonieux et cohérent. C’est passionnant à mettre en œuvre!

 

  • Avec II, vous visitez également le répertoire du folklore suédois et islandais. Sur quels critères avez-vous sélectionné ces 5 morceaux de musique traditionnelle?

Eléonore et Gaëdic - Nous fonctionnons au coup de coeur et, finalement, n’avons pas une démarche “cérébrale”. Nous ne sommes pas portés par un dessein écrit d’avance. Le chemin est cahoteux, tortueux. Il n’emprunte pas les lignes droites asphaltées mais le sol caillouteux, parsemé de fondrières des chemins de traverse! Nous le découvrons en avançant, mus par les forces que la providence nous envoie!

Les morceaux anciens nous choisissent plus que nous ne les choisissons!

 

  • En parallèle d’Octantrion, vous œuvrez tous deux  au sein de différentes formations musicales. Et récemment, vous avez créé le Varg Studio. Après le corbeau, le loup (Varg) est un autre animal mythique en lien avec le dieu Odin. Pourquoi ce nom? Pouvez-vous nous en dire davantage au sujet de cette structure?

Le Varg Studio en cours d'aménagement - Photo: Gaëdic ChambrierGaëdic - En parallèle avec mon activité instrumentale, j’ai progressivement commencé à produire de la musique. C’est tout naturellement que j’ai ressenti le besoin de monter un studio afin de pouvoir donner vie à toutes les idées qui m’assaillaient. Je me suis formé à la prise de son et la post-production (édition, mixage etc…).

Aujourd’hui, Varg studio est un endroit magique, mon antre à 13 faces (aucune surface n’est parallèle à une autre à l’intérieur, le son y est extraordinaire) au sein de laquelle je peux enregistrer et produire ce que je souhaite, d’un quatuor à cordes à un groupe de black metal en passant par… Octantrion!

Quant à Varg, le loup, c’est un hommage à cet animal qui peuple mes rêves et pensées depuis toujours. Eléonore et moi avons eu la chance d’en côtoyer récemment… Expérience inoubliable!

 

  • Le prochain album d’Octantrion est-il déjà en gestation ou bien d’autres projets ont-ils la priorité? Envisagez-vous de nouvelles collaborations avec d’autres musiciens?

Eléonore et Gaëdic - Le prochain album est encore une abstraction. Quant aux collaborations, il s’agit de notre raison de vivre en musique!! Les rencontres nous enrichissent, nous rendent meilleurs. Nous avons la chance d’être à la croisée des chemins entre des univers musicaux très variés: musiques du monde, traditionnelles, classiques, actuelles, à l’image etc… Autant d’opportunités de faire des rencontres extraordinaires!

 

  • Pour finir, quelles sont vos recommandations sur le thème des Vikings et pouvez-vous expliquer votre choix pour chaque item?

Un film?

“Brendan et le secret de Kells”. Même si la représentation des vikings en “méchants” est caricaturale, la poésie conjuguée des références celtiques, scandinaves et chrétiennes fait mouche.

Un livre?

Thorgal

La saga “Thorgal” pour la fiction.

L'Aventure des Normands, VIIIe-XIIIe siècle, François NEVEUX

Et “L’Aventure des Normands” de François Neveux pour la partie historique.

Une œuvre dart?

Statue de Rollon à Rouen - Sculpture: Arsène Letellier (1863)

La statue de Rollon dans les jardins de l’Hôtel de Ville de Rouen. Elle n’est pas particulièrement belle ou fidèle à la réalité, typique qu’elle est d’une vision déformée de l’histoire (courante au XIXème siècle - elle date de 1863), mais elle est chère à mon coeur (Gaëdic) car elle m’a fait rêver enfant.

Une découverte archéologique?

Le Skuldelev 1 - Photo: Musée des Navires vikings de Roskilde

Les bateaux Skuldelev du Musée des Navires vikings de Roskilde (Vikingeskibsmuseet), Danemark.

Un site à visiter?

Éléonore Billy en Islande - Photo: Gaëdic Chambrier

L’Islande, dont nous revenons juste, pour tout ce qu’elle porte d’histoire, de stigmates de ce que peut être la colonisation d’un espace vierge par l’homme, de la résilience de la nature.

 

Merci infiniment, Éléonore et Gaëdic, pour le temps que vous avez consacré à cet entretien.

Octantrion, comme vous l'aurez compris chers lecteurs, fait fi des frontières en tous genres pour mieux transmettre la quintessence et l'âme d'une musique aux racines certes ancestrales, mais bien vivante et sans doute plus que jamais actuelle.

Les instruments ne sont pas ici de simples outils mis au service d'une expression artistique, mais des membres à part entière de cette formation avec une histoire, un présent et un avenir, une culture et une voix propres que ce duo d'authentiques passeurs, à la complicité pour le moins contagieuse, s'attache à faire résonner dans une harmonieuse complémentarité. 

Une brillante et exaltante invitation au voyage en terres nordiques, porteuse de nombreuses promesses à venir.

 

L'album

Pistes

  1. Bältares Långdans
  2. Hugin
  3. Ragnarök
  4. The Dead King
  5. Element [Vilya]
  6. Strömkarlen Spelar
  7. En Gång När Jag Ska Dö
  8. Dans [När]
  9. Element [Nén]
  10. Munin
  11. Against The Wind
  12. Father
  13. Element [Cén]
  14. Chaman
  15. The Dead King [Radio Edit]

 

Formation

  • Éléonore Billy: Nyckelharpas (alto, tenor, soprano), Moraharpa
  • Gaëdic Chambrier: Chant / Guitares / Mandole, Mandoline, Cistre/ Basse / Claviers / Percussions Blandine Champion: Basse / Invitée
  • Cécile Corbel: Harpe Celtique / Invitée
  • Christophe Piot: Batterie / Invité
  • Éric Pariche: Chant / Invité
  • Julien Lahaye: Tombak/ Invité
  • Xavier Milhou: Contrebasse/ Invité

 

Label: Quart de Lune

Commander le CD: www.uvmdistribution.com

 

Pour aller plus loin

Éléonore Billy

Éléonore Billy est une spécialiste du nyckelharpa, reconnue par de nombreux musiciens scandinaves. Elle enseigne la pratique de cet instrument en France et à l’étranger. Elle travaille également en étroite collaboration avec Jean-Claude Condi, luthier et archetier, à des évolutions de l’instrument telles que le "clavier Billy". En plus de ses propres formations, elle participe sur scène ou en studio à de nombreux autres projets.

 

 

Autres projets

 

Gaëdic Chambrier

Gaëdic Chambrier est un guitariste, chanteur, producteur/auteur/compositeur. Il oeuvre également au sein de plusieurs formations et est invité dans les plus grands festivals de musique et chanson. Il donne régulièrement des masterclasses. Grâce aux nombreux instruments qu’il possède, certains très rare et/ou anciens, d’autres conçus en collaboration avec des luthiers, il retrace en paroles et en musique l’histoire de la guitare, de la préhistoire jusqu’à nos jours (voire au-delà).

 

 

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