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Slovénie - La jusquiame noire aurait déclenché la fureur des Berserker

Un ethnobotaniste slovène soutient que la plante herbacée de la famille des Solanacées constitue une substance intoxicante plus susceptible d'induire l'état de rage des berserker que le plus connu des champignons, toxique et psychotrope, de la famille des Amanitaceae.  

Les légendaires guerriers vikings connus sous le nom de berserker étaient réputés pour leur férocité au combat. D'après les sources, ils se seraient battus dans un état de rage aveugle semblable à une transe, appelé berserkergang, hurlant comme des animaux sauvages, mordant leurs boucliers, et souvent incapables de distinguer leurs amis de l'ennemi au plus fort de la bataille. Mais les historiens en savent finalement très peu sur les berserkers, mis à part quelques mythes en vieux norrois et les récits épiques des sagas.

D'après une hypothèse intéressante sur la cause de leur comportement, les berserker auraient ingéré un type spécifique de champignon aux propriétés psychoactives. Cependant, un ethnobotaniste conteste cette théorie dans un récent article de la revue scientifique Journal of Ethnopharmacology, et émet l'idée que la jusquiame noire (Hyoscyamus niger), autrefois appelée hanebane, est une candidate plus probable.

 

Le berserkergang, une rage féroce et aveugle

Pour mener à bien sa recherche, Karsten Fatur, ethnobotaniste à l'Université de Ljubljana en Slovénie, a compilé une littérature de diverses disciplines relatives à l'Histoire, à la Toxicologie, à la Pharmacologie et à la Botanique.

Les références aux berserker remontent à un poème de la fin du IXème siècle en hommage à Harald à la Belle Chevelure, le premier roi de Norvège. Snorri Sturluson, l'historien et poète islandais du XIIIème siècle quant à lui, les décrit "enragés comme des chiens ou des loups" et "forts comme des ours ou des taureaux en furie", tuant les gens d'un seul coup. Les attributs spécifiques peuvent varier considérablement d'un récit à l'autre, glissant souvent vers la magie ou le mysticisme. Certains affirment que les berserker n'étaient pas atteints par les armes blanches ni par le feu, mais qu'ils pouvaient être tués avec un gourdin. D'autres disent qu'ils étaient capables d'émousser les lames de leurs ennemis avec des sorts ou simplement en leur jetant le mauvais œil. 

La plupart des récits s'accordent au moins sur une caractéristique principale qui les définit: une rage féroce et aveugle. Le berserkergang commençaient apparemment par des frissons parcourant le corps, des tremblements et des claquement de dents, suivis par un gonflement et une rougeur du visage. Ensuite, la rage éclatait. Mais lorsqu'elle cessait, le berserker ressentait de la fatigue physique et une apathie émotionnelle pendant quelques jours. 

 

L'amanite tue-mouches, source d'ivresse

Amanita muscariaPlusieurs hypothèses ont été émises pour tenter d'expliquer la raison pour laquelle les guerriers se seraient comportés de la sorte, telle que l'hystérie auto-induite - par la morsure de leurs boucliers et leurs hurlements - l'épilepsie, l'intoxication par l'ergot de seigle [ i.e un champignon parasite du seigle] ou une maladie mentale. Une des théories les plus controversées concerne l'ingestion d'un champignon hallucinogène, l'amanite tue-mouches (Amanita muscaria), juste avant la bataille pour provoquer leur état de transe.

Amanita muscaria a une apparence digne d'Alice au pays des merveilles, avec son chapeau rouge vif et ses taches blanches. Bien qu'il soit en théorie toxique pour les humains, il est possible d'ingérer ce champignon sans risque après l'avoir émincé et fait blanchir deux fois. L'amanite tue-mouches était très populaire en tant qu'enthéogène parmi les tribus sibériennes, probablement à des fins rituelles shamaniques, en raison de ses effets psychotropesCe dernier aspect est dû à deux composés: l'acide iboténique et le muscimol, avec la muscarine (découverte pour la première fois en 1869) probablement responsable de certains des effets secondaires les plus désagréables. 

Le champignon induit un état typique de l'ivresse avec des illusions auditives et des changements dans la vision des couleurs. Il peut également provoquer vomissements, hyperthermie, transpiration, rougeur du visage, spasmes et tremblements, dilatation des pupilles, augmentation du tonus musculaire, délire et convulsions. Une grande partie de tout cela est cohérent avec les descriptions du comportement des berserker. Mais selon Karsten Fatur, la jusquiame noire est une bien meilleure candidate.

 

Plante herbacée vs champignon

Jusquiame noireLa jusquiame noire est connue depuis la Grèce antique et a été utilisée dans diverses cultures au cours de l'histoire comme narcotique, analgésique, traitement de l'insomnie et anesthésique. C'est un remède courant contre le mal des transports qui peut entraîner une perte de mémoire à court terme. Elle peut assommer quelqu'un pendant 24 heures et, dans de rares cas, la hanebane peut entraîner une insuffisance respiratoire. Elle fut même utilisée comme sérum de vérité durant la Seconde Guerre mondiale et il est avéré que la jusquiame noire entrait dans la composition des premières bières pour en décupler les effets de l'ivresse. [ "En Scandinavie, dans une tombe datant de l'Âge du Bronze, une bière aromatisée de plusieurs plantes (myrte, reine des prés, etc.), dont la jusquiame noire, a été découverte. Cf. Les maladies et les traitements à l'Âge Viking]

L'ethnobotaniste fait valoir que si les champignons et la jusquiame noire peuvent tous deux expliquer l'augmentation de la force, l'altération de la conscience, le délirium, les spasmes et la rougeur du visage généralement associés aux berserker, la rage belliqueuse de ces guerriers ne peut pas être induite par le champignon. 

Karsten Fatur cite plusieurs cas impliquant un comportement coléreux en lien avec des plantes telles que la hanebane, qui contiennent les mêmes alcaloïdes tropaniques [belladone, mandragore...]. "Cet effet de colère peut aller de l'agitation à la rage et à l'ardeur belliqueuse, en fonction du dosage et de l'état mental de l'individu", a-t-il écrit. "Comme il s’agit sans doute de la composante la plus déterminante de l’état des berserker, ce symptôme est d’une importance capitale pour l’identification des causes potentielles et fournit la principale raison pour laquelle Hyoscyamus niger est une substance intoxicante théorique plus appropriée pour les berserkers que Amanita muscaria ".

 

Une "mauvaise herbe" très répandue

D'autres effets de la jusquiame noire plaident en sa faveur. Elle peut atténuer la douleur (d'où le fait que les berserker auraient été quasiment invulnérables), contribuer à l'incapacité de reconnaître les visages comme à retirer ses vêtements, et abaisser la tension artérielle, ce qui, selon Fatur, pourrait expliquer l'affirmation selon laquelle les berserkers ne perdaient pas beaucoup de sang lorsqu'ils étaient blessés par une lame. 

Les berserkers auraient souffert de nombreux effets secondaires plusieurs jours durant après la bataille, or les champignons ne produisent généralement pas d'effets secondaires persistants. La hanebane si, y compris maux de tête, pupilles dilatées et vision floue.

Selon Fatur, l'amanite tue-mouches aurait été beaucoup plus rare en Scandinavie car elle se développe généralement dans les forêts et prospère dans une relation symbiotique avec les racines des arbres. La jusquiame noire, en revanche, pousse rapidement comme une mauvaise herbe et était répandue en Scandinavie à l’époque des berserkers. Un sachet de graines de hanebane a été découvert dans la tombe d'une femme datant d'environ 980, au Danemark [i.e la fameuse "tombe de la völva" de Fyrkat. Cf. Découverte d'un bijou qui pourrait être celui de la Völva du roi Harald à la Dent bleue].

 

Naturellement, quelques mises en garde s'imposent. Il y a des éléments du comportement des berserker que la jusquiame noire ne peut pas expliquer, tels que la morsure du bouclier et le claquement des dents. Karsten Fatur indique qu'une grande partie de sa recherche est spéculative, car il n’y a tout simplement pas suffisamment de preuves archéologiques ou historiques pour prouver ou réfuter son hypothèse. Lui-même n’ayant aucune expertise spécifique en Histoire ou en Archéologie, l’ethnobotaniste fait appel aux recherches futures de ces disciplines pour confirmer ou infirmer son point de vue uniquement ethnobotanique.

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